Débâcle
Le 26 mars 2020
Anatomie du crime. Arnauld Pontier pose sa loupe sur la haine en formation. Quand donner la mort permet de rester en vie.


- Auteur : Arnauld Pontier
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 23 mai 2003

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Résumé : Deux territoires du colonialisme français dressent le décor de ce roman. D’abord le Vietnam, où le narrateur passe l’essentiel de son enfance. Puis, à l’adolescence, après la chute de Diên Biên Phu, l’Algérie, où lui-même et les siens tentent de prendre un "nouveau départ". Car d’un lieu à l’autre se reforme bientôt la même petite société d’expatriés qu’unissent l’amertume d’une position perdue, la farouche volonté de se ré enraciner, et le dévouement au service plus ou moins occulte de l’Etat français. Mais ce livre, c’est aussi l’histoire d’un fils subissant avec stupeur la violence et les crises éthyliques de son père, dont la brutalité peu à peu le libère du sentiment filial, plaçant son destin sous le signe d’une haine presque mimétique - impatiente de s’accomplir quand viendra l’heure de "faire son devoir". Avec ce roman d’apprentissage et d’initiation à la vengeance, Arnauld Pontier explore le métabolisme affectif d’un conflit colonial qui surgira du plus profond, comme une catharsis.
Critique : Roman initiatique, La treizième cible s’offre en deux volets, deux époques dans la biographie du narrateur, deux lieux dans lesquels va s’accomplir le cheminement qui va le mener de la haine à la vengeance. C’est l’histoire d’un enfant sans amour dans l’Indochine coloniale, battu par un père alcoolique, rejeté par une mère incapable de sentiments. Une petite sœur se réfugie dans la bulle silencieuse de la psychose, le narrateur, lui, choisit la haine pour répondre à la haine, pour remplacer l’amour qu’on lui refuse.
Quelques éclairs de bonheur laissent entrevoir une vie qui ne sera jamais la sienne. "Le manque d’amour est impuissant à consoler." Dien Bien Phu marque le départ de Saïgon et la fin de l’enfance. La violence larvée du traumatisme se trouve un but dans la lutte pour l’Algérie française. L’ennemi a un visage, la vengeance se caresse à travers l’acier glacé d’une arme, la vie prend sens en donnant la mort.
Arnauld Pontier choisit la simplicité de l’écriture pour dire l’indicible d’une vie de décombres. Les guerres coloniales donnent une justification à la violence, un idéal au déferlement de la barbarie. Les destins individuels se confondent avec l’Histoire, dérisoires et absurdes, quand l’ennemi paie pour la blessure d’une enfance brisée. Ces guerres n’ont ni vainqueurs ni vaincus. Elles donnent à peine une illusion de survie à ceux qui sont déjà morts.
Arnauld Pontier, La treizième cible, Actes Sud, 2003, 149 pages, 16 €