Partisans, ouvriers et paysans
Le 2 octobre 2011
Youssef Chahine se penche sur les luttes pour la (sur)vie, dans l’Egypte colonisée des années 1930. Une oeuvre éloquente, complexe et plurielle, dont le message politique conserve aujourd’hui encore une certaine ampleur.
- Réalisateur : Youssef Chahine
- Acteurs : Mahmoud El-Meliguy, Hamdy Ahmed, Yehia Chahine
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Égyptien
- Editeur vidéo : Pyramide Video
- Date de sortie : 16 juin 1971
- Festival : Festival de Cannes 1970
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– Durée : 2h10min
– Titre original : Al ard
– Année de production : 1968
Youssef Chahine se penche sur les luttes pour la (sur)vie, dans l’Egypte colonisée des années 1930. Une oeuvre éloquente, complexe et plurielle, dont le message politique conserve aujourd’hui encore une certaine ampleur.
L’argument : Dans les années 1930, l’Egypte est gouvernée par une monarchie sous tutelle anglaise. Dans un village du delta du Nil, les paysans vivent difficilement. Un jour, les autorités décident de restreindre les permis d’irrigation. Au même moment, le seigneur local, Mahmoud Bey, se construit un palais et projette de faire tracer une route qui va spolier les paysans de leur terre... Accablés, ceux-ci tentent de se révolter et s’unissent autour de Abou Souelam, ancien opposant respecté de tous.
Notre avis : L’histoire du cinéma compte au moins un autre grand film homonyme de celui de Youssef Chahine : c’est La terre de Dovjenko, ode soviétique passionnée aux paysans et aux labours. Ici, nous campons près du Nil, mais l’action aurait tout aussi bien pu se dérouler au-delà de l’Oural ; ce qui est en jeu, comme souvent chez le cinéaste égyptien, c’est la relation entre individu, communauté et société, et la manière dont le pouvoir joue ses stratégies de ruse et de contrainte, depuis les plus hautes sphères jusqu’aux centres locaux. Si l’action de La terre se situe dans les années 1930, le propos semble viser une réalité qui conserve tout son sens à l’horizon contemporain du film : les dominants de l’époque (les Anglais) ne sont pas montrés, mais figurés par les instances subordonnées qu’ils délèguent pour les tâches administratives. Les différents représentants du pouvoir dans le film (dont le propriétaire terrien, incarnation maléfique du paternalisme) semblent figés de toute éternité - et à ce titre, Youssef Chahine se révèle malheureusement visionnaire quant à la situation actuelle de l’Egypte sur le plan de l’autorité et de la corruption... Malgré cette visée sociale et profondément humaniste, La terre réussit toutefois à échapper aux clichés et écueils du « film politique » traditionnel, prenant soin d’entrelacer les enjeux de la communauté et les intrigues personnelles, la jalousie, l’envie ou la vengeance venant souvent entacher un angélisme qui aurait pu aboutir à une vision manichéenne. Au village, le monde des paysans n’est pas moins cruel et vil que celui des autorités dont il est la victime ; mais cette cruauté dépasse désormais le sens politique, elle touche à une nature humaine que Chahine s’est employé tout le long de sa carrière à décrypter.
Même si ses thèmes sont largement universels, La terre parvient peut-être moins à toucher immédiatement le spectateur, par rapport à d’autres œuvres de Chahine (Le destin ou Gare centrale, par exemple). Le personnage le plus complexe et charismatique est sans doute celui d’Abou Souelam, incarné par un acteur fétiche de Chahine, Mahmoud El-Meliguy, et dont la gravité donne le ton du film. A ses côtés, les personnages secondaires ont moins de couleur et d’éclat, ce qui rend le rythme du film parfois un peu laborieux - les personnages féminins, en particulier, n’ont pas la saveur que leur confère habituellement le cinéaste. Néanmoins, quelques scènes marquantes, et dont la violence morale et visuelle surprend (la séquence de la prison, la terrible image finale), font de La terre une œuvre qui reste en mémoire après sa vision. Que l’on en retire une morale ou un manifeste, cette fable s’inscrit indéniablement dans un cinéma aux prises avec le réel, et qui exprime avec émotion une forme d’humanisme.
Ce film fait partie du coffret Youssef Chahine.
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