La Saga de Grimr - La chronique BD

Islande, 1783. Malgré l’époustouflante beauté de l’île, en ce siècle des Lumières, il ne fait pas bon être islandais. Sous le joug des méprisants Danois depuis le XIVème siècle, l’île s’est enfoncée dans une misère noire, aggravée par les épidémies, les aléas climatiques, et les éruptions volcaniques.

C’est l’une de ces éruptions, justement, qui, en quelques heures fera du petit Grimr un orphelin, le privant d’un seul coup de ses parents et de ses terres.

Il n’a même plus de nom, ce qui, dans ce pays où la valeur d’un homme tient avant tout à celle de son lignage, le rend hautement méprisable. Tout ce qui lui reste, c’est sa force, herculéenne malgré son jeune âge. Seul Vigmar, voleur grandiloquent vivant en marge de la société, voit en lui un potentiel et le prend sous son aile. Il grandit ainsi sous la tutelle de cet homme à l’honnêteté pour le moins discutable, jusqu’au jour où ce père de substitution se fait tuer comme on écraserait une mouche par un notable danois hautain, sûr de sa supériorité et de son impunité.

Fou de rage, à nouveau orphelin, Grimr se lance à la poursuite de l’assassin, qu’il finit par surprendre alors qu’il s’apprêtait à abuser d’une jeune islandaise. Assommé par la mère de cette dernière alors qu’il était en train d’achever le danois, Grimr se retrouve hébergé par cette nouvelle famille. Il en profite même pour tomber amoureux de la jeune fille qu’il a sauvée. Mais ce répit est de courte durée : le danois a porté plainte contre lui. Grimr est condamné à mort. Il ne doit son salut qu’à son évasion, une évasion qui le condamne à une vie de paria aux abords d’un village où on le considère vite à tort comme une créature de mauvais augure, presque légendaire, bonne à être traquée voire éradiquée.

La saga est un genre littéraire né dans l’Islande médiévale et dont le but est de narrer la vie et les hauts faits d’un personnage digne de mémoire, de sa naissance à sa mort. Une définition qui s’applique parfaitement à Grimr. Car l’Islande, cette île à la beauté irréelle, vénéneuse, presque douloureuse, parfaitement restituée par les dessins et les couleurs de Jérémie Moreau, est une beauté lunatique, aux sautes d’humeur parfois mortelles.

Écrasés par sa majesté, ses habitants vivent dans la crainte perpétuelle de succomber à ses caprices. Dans un tel contexte, Grimr, héros sans lignage à la carrure et à la force époustouflantes semble être le seul à pouvoir se mesurer au courroux de l’Islande, le seul à pouvoir se dresser entre ses semblables et un volcan. C’est cet héroïsme, cette abnégation, alors que toutes et tous lui tournent le dos, qui justifient le récit de ses hauts faits et son entrée dans la légende.

Jérémie Moreau nous fait découvrir superbement cette île, ce peuple et cette culture méconnus à travers le destin tragique d’un personnage atypique, et, n’ayons pas peur des mots, c’est beau, et ce dans tous les sens du terme. Une véritable claque, autant graphique qu’émotionnelle, qui donne envie de visiter cette île sublime et de découvrir son histoire.