Le désespoir fait survivre
Le 14 juin 2005
Suintant la peur, le sel et la folie, un récit ahurissant puisant sa source dans une mer aussi démontée que ses personnages.
- Auteur : Erik Emptaz
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction
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Erik Emptaz romance l’histoire des naufragés de la Méduse dans un récit ahurissant, suintant la peur, le sel et la folie. Un ouvrage documenté puisant sa source dans une mer aussi démontée que ses personnages.
Les lecteurs du Canard Enchaîné seront sans doute surpris qu’Erik Emptaz, éditorialiste et journaliste au sein de l’hebdomadaire satirique, ait choisi comme sujet de son premier roman l’histoire véridique des pauvres bougres balancés sur un radeau après le naufrage de la Méduse. Mais au final, ce choix n’est pas si anodin, tant cette véritable catastrophe apparaît comme le résultat d’un immense gâchis de la faute des puissants et de l’incompétence d’hommes de pouvoir. Le tour de force d’Erik Emptaz est bien de dire cette absurdité et cette injustice sans jamais forcer le trait ni se lancer dans de belles et jolies tirades gonflées de moralité. Plus encore, ce roman possède toute la qualité de rigueur journalistique et documentée imposée par le genre.
On suit, principalement à travers le témoignage de Jean-Baptiste Savigny, jeune chirurgien de vingt-sept ans engagé par hasard sous le coup de l’ivresse et de la déception amoureuse, l’histoire complètement ahurissante de cent cinquante passagers échoués sur le célèbre radeau que Géricault immortalisera par la suite. L’histoire se déroule en juin 1816. Aux commandes de la Méduse, le capitaine Hugues de Chaumareys, déclaré compétent en raison de sa filiation, fait s’échouer le navire sur un banc de rochers près de la Mauritanie. Plusieurs canots sont jetés à la mer, réservés aux nobles et aux membres de l’équipage. Pour les autres, ce sera le radeau construit à la hâte, qui sera remorqué par les canots. On connaît la suite... Une dizaine de jours plus tard, ils seront quinze à être secourus.
Emptaz fait revivre de magnifique manière la cruauté du sort partagé par ces hommes livrés à eux-mêmes et au déchaînement des éléments, immergés jusqu’aux genoux, sentant diminuer l’espoir au fur et à mesure que les jours passent et que leurs compagnons d’infortune décèdent les uns après les autres. Folie, bagarre, faim, chaleur, tous les éléments sont réunis pour transformer ce huis clos maritime en tragédie antique. Le style d’Emptaz s’accroche aux détails et à la psychologie de ses personnages, raconte la douleur de la privation et la souffrance intérieure. Jusqu’à la fin, et à la présentation officielle de la toile de Géricault devant le roi, Emptaz nous livre les secrets d’une histoire passionnante et, paradoxalement, extrêmement vivante. Finalement une partie de la morale est sauve, puisque Chaumareys sera jugé pour son inaptitude et ses erreurs. Drôle d’époque que celle durant laquelle les puissants répondaient de leurs actes devant la justice. Déjà deux siècles...
Erik Emptaz, La malédiction de la Méduse, Grasset, 2005, 295 pages, 19,50 €
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