L’art est une tragédie. Ses auxiliaires, des héros se brûlant à petit feu dans leur quête incandescente de l’œuvre absolue. Cécile Ladjali s’est inspirée de deux figures pour raconter le chemin de croix de l’artiste : celle d’Ajax, le guerrier grec, première figure du suicide dans la littérature antique et celle de Marc Rothko, maître de l’expressionnisme abstrait qui mit fin à ses jours de façon quasi sacrificielle.
Projection floutée de ces deux fantômes, l’Ajax de Cécile Ladjali est une sorte de Janus moderne, tout à la fois chauffeur de taxi et peintre en quête de l’œuvre absolue. Tandis qu’il se jette volontairement dans un précipice après un accident de voiture, il s’élève en parallèle vers l’immortalité tel l’Ajax mythologique, guerrier coléreux de Sophocle alourdi par sa condition humaine et sa dimension quasi divine proclamée dans l’Illiade. L’intégralité de La chapelle Ajax est ainsi construite autour de cette tension constante entre chute et ascension, douleur et sublimation, tandis que l’artiste peu à peu s’efface dans l’immensité qu’il trace tel Rothko noyé dans sa nuit picturale si lumineuse.
Si le projet romanesque en soi est indéniablement passionnant, l’agacement en est d’autant plus prégnant car cet Ajax-là ne se noie pas dans l’incandescence artistique mais dans une somme de phrases par trop pompeuses. Or, à force, les précieuses en deviennent ridicules. La salle de bains est ainsi "plus mystérieuse encore que l’antre d’une nymphe oubliée dans la rocaille de son ruisseau" tandis que l’épouse d’Ajax, "l’adultère indifférente s’abandonnait aux bras de Morphée", etc. Marc Rothko avait déclaré :"Le silence est si juste". Un précepte malheureusement ignoré par Cécile Ladjali.