Le 27 octobre 2018
Un livre ardu mais passionnant sur l’une de nos séries préférées, The leftovers.
Résumé : 14 octobre 2011 : ce jour où plus rien ne sera comme avant, 2 % de la population mondiale disparaît. L’évanouissement simultané de 140 millions de personnes est l’événement impossible qui ruine toute explication rationnelle en mettant en déroute les grands monopoles étatiques et religieux du symbolique. Adapté d’un roman de Tom Perrotta et Damon Lindelot, The Leftovers (2014-2017) constitue une autre passionnante création télévisuelle. La philosophie contemporaine aidera, à l’occasion du premier ouvrage en français consacré à cette série, à y reconnaître une grande pensée de l’événement.
Notre avis : Il faut, pour apprécier cet essai au moins deux conditions : avoir vu la série The Leftovers, et être prêt à une lecture aride, complexe. En effet les auteurs ne craignent ni les citations philosophiques (Deleuze, Badiou, Wittgenstein, Derrida y sont entre autres convoqués) ni les phrases longues ni la forte manipulation de concepts. Autant dire que le public visé n’est pas l’amateur compulsif de séries avide de renseignements ou d’anecdotes : c’est du lourd, si on ose dire.
Ces précautions prises, on peut s’enthousiasmer du fait qu’une œuvre aussi originale soit prise au sérieux, sans que soit plaquée une grille de lecture appauvrissante ou une interprétation univoque. Les auteurs, comparant The Leftovers à Lost notamment sous l’angle inattendu mais stimulant de la torture, se livrent d’abord à une analyse générale et un essai de détermination (cinq questions sur le « genre ») qui, pour être difficiles à suivre, n’en sont pas moins porteurs d’interrogations puissantes ; les mots-clé, patiemment définis, qu’ils soient courants (« monument », « événement ») ou rares (« parallactique » ), voire de purs néologismes, définissent un cadre qui va permettre une observation attentive des trois saisons, épisode par épisode. Si cette première approche peut paraître parfois indigeste, elle recèle assez de trouvailles (le « messianique sans messianisme ») pour que le lecteur patient en fasse son miel.
Néanmoins, c’est dans la lecture chronologique que le livre donne sa pleine mesure : l’analyse du générique, de certains thèmes (le feu, la pierre, le silence, le labyrinthe, l’enfance), de certaines questions essentielles (le sens et l’insensé) ou des motifs tissés s’accompagne de remarques judicieuses sur la structure de la série. Pour les adorateurs de The Leftovers, et nous en sommes, c’est une fête de l’esprit. Chaque épisode est commenté, mis en perspective, relié aux autres et à d’autres textes (les philosophes, bien sûr, mais aussi de plus inattendus comme Brel … ou Metallica) en une avancée vertigineuse qui met parfois des mots sur ce que nous avions saisi partiellement. La mise en relief de certains détails, en particulier, est lumineuse, mais il nous est impossible vu la richesse du livre de tout citer : tant dans les références que dans le réseau de significations, l’essai dépasse de loin la capacité d’un résumé. Pour autant, la mise en scène n’est pas oubliée et les pages sur le montage ou la focale sont des plus éclairantes. Au final, on est bien persuadé de la force d’une série qui est un « poème consacré à l’énigme du contemporain et à la condition humaine à l’épreuve renouvelée du désastre » (p. 108) et une « machine à irradier de la pensée » (p. 206). Certes, on regrettera quelques coquetteries, comme l’abus d’anaphores, mais la force de cet examen attentif qui ouvre tant de voies l’emporte sur ces petites considérations.
Les auteurs, pour être des analystes rigoureux, n’en sont pas moins sensibles aux grands moments d’émotion que recèle la série et nous rappellent à quel point elle est faite d’une pâte humaine. Sans doute les multiples interprétations expliquent-elles en partie les serrements de cœur qui nous étreignent au fil de ces 28 épisodes, mais il est toujours bon de les souligner. L’essentiel néanmoins est bien la mise à nu de motifs et de thèmes entrelacés qui soudent les différents arcs narratifs et leur assurent une belle cohérence. Cela n’entraîne pas adhésion totale : les auteurs reconnaissent des petites faiblesses, comme les clichés de l’épisode 8 (saison 2), avec une référence à Christopher Nolan qui dans leur esprit n’est pas vraiment un compliment.
La dernière partie, une longue conclusion, remet en perspective les analyses détaillées et, de nouveau, on retrouve, outre une érudition impressionnante, quelques vues pénétrantes et plus générales sur l’enseignement de la série : réflexion sur la vie, profonde et multiple, The leftovers est bien une œuvre unique, proliférante, complexe, qui méritait largement un essai à sa mesure.
- Éditions de L’harmattan
Date de publication : 21 septembre 2018
Broché – Format : 15,5 x 1,8 x 24 cm
276 pages
Éditions L’Harmattan
Galerie photos
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