Le 3 juin 2018
En même temps qu’une dénonciation de la guerre, ce mélodrame est une démonstration magistrale du génie de Lubitsch.
- Réalisateur : Ernst Lubitsch
- Acteurs : Lionel Barrymore, Phillips Holmes, Tom Douglas, Louise Carter, Nancy Carroll
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Elephant Films
- Durée : 1h15mn
- Titre original : Broken Lullaby
- Date de sortie : 19 janvier 1932
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– Sortie du combo DVD + Blu-ray : le 5 juin 2018
Résumé : 1919. Paul, jeune soldat pendant la Grande Guerre, torturé par le remords d’avoir tué un jeune soldat allemand, part à la recherche de sa famille et peu à peu prend la place de celui qui a disparu...
Notre avis : Inspiré d’une pièce de théâtre, ce dernier mélodrame de Lubitsch joue à fond la carte du sentiment, de l’exaltation, notamment par des dialogues lyriques et par le jeu excessif (c’est ce qui a le plus mal vieilli) des comédiens. À travers l’histoire très improbable de Paul, violoniste hanté par le meurtre de Walter pendant la guerre, et qui va rendre visite à ses parents et à sa fiancée, le scénario brasse des thèmes lourds (le pardon, l’absurdité de la guerre, la responsabilité des pères qui envoient leurs fils au front, la culpabilité, la revanche) et pourrait s’enfoncer dans le pathos le plus éprouvant. Mais, si L’homme que j’ai tué n’a pas peur du sentimentalisme, il trouve, par la grâce d’une mise en scène particulièrement inspirée, un équilibre sur le fil du rasoir pour doser une émotion réelle, puissante, sans qu’elle verse dans les effets faciles.
Lubitsch vise non pas la distanciation, mais le retranchement et la condensation et, comme à son habitude, l’emploi d’objets qui font signe lui évitent de longs développements : le film est d’ailleurs court (1h15 à peine), et d’autant plus fort.
Le retranchement, c’est le fait d’enlever des éléments inutiles ou redondants, de ne pas insister pour dire : ainsi quand Paul ment presque malgré lui aux parents de Walter en se prétendant son ami, la scénographie qui réunit ou sépare les personnages suffit-elle à faire accepter les liens qui se tissent entre eux. De même par des axes de caméra le cinéaste suggère-t-il une idée (la fête de l’armistice vue derrière la jambe manquante d’un estropié) ou un sentiment (la plongée sur Paul écrasé par la culpabilité dans l’église). Mais c’est tout le film qui se grandit d’une série de ponts et de parallèles ouvrant sur des significations : pour ne prendre qu’un exemple, on pourrait s’attacher aux mains des différents protagonistes ; les mains de Walter essayant d’écrire recouvertes par celles, ensanglantées, de Paul ; les mains de ce dernier en prière, comme détachées d’un corps invisible ; les mains de la mère, tremblantes, devant la tombe de Walter, avant qu’on ne découvre son visage ; la main du père se posant sur l’épaule du héros effondré ; la main enfin de Paul qui retrouve le violon et peut à nouveau en jouer. Ce réseau, dense et habile, s’accompagne d’objets devenant symboles d’une évolution : ce sera le violon déjà cité, la clé (de la chambre de Walter ou du piano) qui ouvre à la vie, la robe dont le prix varie et qui, elle aussi, représente le nouvel espoir et l’acceptation de continuer à vivre, la photo de Walter, cachée puis brandie.
On n’en finirait pas de citer les détails de génie qui animent le film : les sonnettes des magasins pour indiquer que la rumeur se répand, ou plus cruel, le panneau « Silence Hôpital » au milieu de la liesse générale.
Mais Lubitsch sait aussi « respecter » les sentiments par une observation plus longue : la séquence où les parents se mentent au cours du repas, ou le beau plan final de leur sérénité retrouvée sont très purs et sans apprêt. Ainsi d’un scénario qui pouvait prêter à la guimauve, le cinéaste, sans renier la part mélodramatique, fait un film magnifiquement tenu, rigoureux, et, in fine, très émouvant. Plus que Paul, assez fade, on n’oubliera pas le portrait attendri des parents ou la vigueur d’Elsa, la fiancée. Lubitsch, toujours du côté de la vie, approuve le choix du mensonge (les parents ne sauront jamais la vérité) s’il permet l’apaisement et la construction d’un nouveau bonheur. Autant dire que cette leçon de vie, sobre et efficace, porte le drame à son incandescence pour mieux l’évacuer : le réalisateur ne tournera plus que des comédies. Pour mémoire, on rappellera que François Ozon a réalisé Frantz sur le même canevas en 2016.
Les suppléments :
Frédéric Mercier se livre à une interprétation enthousiaste et personnelle du film, qui lui permet même d’expliquer le jeu « monolithique » de Phillips Holmes (25mn). À quoi s’ajoutent la galerie photos et les bandes-annonces de la collection
L’image :
La copie a visiblement souffert : nombreux parasites, manque de stabilité, de définition et de contrastes. Rien cependant qui puisse empêcher de découvrir cette œuvre bouleversante.
Le son :
La seule piste en VO manque de profondeur et d’aération, mais les dialogues sont largement audibles et la musique grinçante est heureusement peu présente.
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