Punk Manifesto
Le 2 juin 2017
Considéré comme un des meilleurs films sur le punk, Jubilee est aussi une dystopie noire et prophétique dans un décor d’Angleterre dévastée. Le pendant No Future de Last of England.
- Réalisateur : Derek Jarman
- Acteurs : Jenny Runacre, Toyah Willcox, Jordan , Nell Campbell, Adam Ant
- Genre : Musical
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Malavida Films
- Editeur vidéo : Malavida
- Durée : 1h46mn
- Reprise: 21 juin 2017
- Date de sortie : 12 mars 1980
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Résumé : La reine Élisabeth 1ère est envoyée dans le futur par l’occultiste John Dee. Elle débarque dans l’Angleterre tumultueuse de la fin des années 1970. Elle évolue dans le décor d’une ville en pleine décadence sociale et matérielle, en observant les agissements d’une bande de nihilistes, Amyl Nitrate, Bod, Chaos, Crabs et Mad.
Notre avis : Après le très homoérotique Sebastiane, Derek Jarman se lance dans une toute autre histoire avec ce Jubilee. Déjà là où dans le précédent film le casting était composé en grande partie de beaux éphèbes, ici ce sont les femmes qui dominent. Elles ont la haine, elles ont les mots, le nihilisme et la violence. Quelque part entre Orange mécanique et du John Waters (mais avec l’humour en moins), Jubilee est un film enragé malgré ses digressions baroques. Au travers de cette peinture du présent comme un délire post-apocalyptique futuriste, Jarman nous présente l’Angleterre de 1977 telle qu’il la voit : Wasteland encadrée de fils de fer barbelés où règnent des milices ultra violentes et qui ne croient en rien. En ce sens, c’est déjà Last of England qui est dépeint ici mais avec une approche moins expérimentale et en moins poétique aussi. Pour Jarman, le monde était en plein changement, mais surtout se dirigeait vers le pire. Un pessimisme qu’il ne fera que développer dans les années suivantes.
Mais si Jubilee est devenu si culte, ce n’est pas tant pour ce qu’il raconte que pour son casting, son esthétique et sa dimension "manifeste", qui faisait écho au "God Save the Queen" des Sex Pistols. Il tentait de capter ici cette énergie qui avait vu le jour avec le punk et dont il sentait qu’elle ne durerait pas, récupérée par l’argent et le capitalisme. Quelque part, tous les artistes rassemblés ici cèderont à l’appel de la gloire et du porte-monnaie, vu qu’un bon nombre d’entre eux se produiront à Top of the Pops plus tard et entreront totalement dans le business musical. De fait, Jubilee est autant le témoignage d’une époque (avec plein d’acteurs de cette scène comme Adam & the Ants, Siouxsie & the Banshees, The Slits, Wayne County, etc.) qu’une satire critique. Il montre une violence qui n’a pas pour fin un véritable changement mais qui est juste vide et qui finit par devenir un produit pour distraire les masses. Le cynique Borgia Ginz, qui a transformé le Palais de Buckingham en studio d’enregistrement, a bien compris pour sa part comment récupérer ce mouvement. Une scène parodique a particulièrement marqué, c’est celle de l’égérie punk Jordan en train de chanter "Rule Britannia" sur un disco reggae opératique accompagné des cris de Hitler pour un pseudo concours d’Eurovision ! Le parcours du Kid (Adam Ant) est lui même assez typique de ce que Jarman critique, et on ne s’étonnera pas qu’un bon nombre de ces musiciens n’aient pas aimé le film à l’époque. Cela donnait peut-être d’eux une image trop proche de la façon dont l’effervescence punk a été vite récupérée par le business.
En parallèle, Jubilee est particulièrement intéressant à redécouvrir au regard du reste de l’œuvre de Derek Jarman. On y trouve par exemple son intérêt pour les divers formats d’images et en particulier le Super 8. Se mêlent ici autant le goût du réalisateur pour le baroque, la Renaissance, le XVIe siècle et l’époque élisabéthaine (on y retrouve l’ange Ariel de La Tempête) que son attirance pour le grain documentaire, à la limite du cinéma vérité avec ses caméras tenues à l’épaule. Jarman nous prouve encore une fois que ce n’est pas raconter des histoires qui l’intéresse mais plus une atmosphère mêlée d’idées et de concepts. Jubilee est en effet plus constitué d’une suite de séquences plutôt que d’une narration traditionnelle. Le long métrage témoigne aussi surtout du goût de Jarman pour la poésie et la culture (l’art, la danse comme une obsession, les citations et influences, qui peuvent aller de Shakespeare à William S. Burroughs) et aussi sa vision désenchantée du monde et de l’Angleterre, lieu toujours triste, avec ses squats mal famés et ses tensions sociales, rongé par la pauvreté, le chômage et les séquelles de la guerre. Et les looks, aussi délirants et excentriques qu’ils soient, ne peuvent égayer cette terre sinistrée que Thatcher va finir par détruire. Le "No Future" n’est pas un slogan ironique pour Jarman, c’est une réalité. Le chaos de l’Histoire qui a mené à un monde en ruines.
À la fois politique et arty, Jubilee est donc un jalon important de la carrière de Jarman, même s’il est fait de tout un tas de maladresses. Il est à la fois un des rares documents valables sur le mouvement punk et ce qui se passait en Angleterre à ce moment là, mais il inaugure aussi les années vidéoclips à suivre. On ne s’étonnera donc pas que Jarman explore cette voie dans les années 1980 avec des groupes comme Psychic TV, The Smiths ou Pet Shop Boys.
Crédits photos : © Malavida Films
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