Parmi les ruines
Le 18 mai 2017
Véritable symphonie visuelle et poétique, Last of England reste un des films les plus expérimentaux et les plus appréciés de Derek Jarman, rassemblant tout un tas d’images, de sons et de références culturelles autour d’une thématique : le déclin et la fin de l’Angleterre.
- Réalisateur : Derek Jarman
- Acteurs : Tilda Swinton, Nigel Terry, Spencer Leigh, Jonathan Philips
- Genre : Expérimental, LGBTQIA+
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Malavida Films
- Durée : 1h28mn
- Reprise: 21 juin 2017
- Titre original : The Last of England
- Date de sortie : 26 avril 1989
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– Année de production : 1987
– Sortie DVD : 21 juin 2017
Résumé : La fin d’une société dans une vision futuriste et violente d’une Angleterre post-thatchérienne (ultra-libérale ?). Un film anarchiste et violent, qui a marqué une génération.
Notre avis : D’une grande richesse, Last of England demeure, malgré sa non narrativité, un des films les plus célébrés de Derek Jarman avec son Caravaggio. On y retrouve à la fois toutes les thématiques qui l’obsèdent depuis les débuts (le mysticisme, la révolte, l’homo-érotisme...) mais il y développe aussi un langage cinématographique qui n’appartient qu’à lui. Même si on sent encore quelques réminiscences de Kenneth Anger et si le film, de par sa thématique sur le déclin de la culture en Angleterre, cite des tas de poètes (Shakespeare, T.S. Eliot, Allen Ginsberg) ou peintres (Le Caravage, Ford Madox Brown), il reste un ovni et un témoignage poignant sur une Angleterre post-industrielle, détruite par la Guerre et par la politique inhumaine de Margaret Thatcher.
- (C) Malavida Distribution
Il s’agit peut-être aussi du film le plus personnel de son auteur. Il n’est donc pas étonnant qu’il se mette en scène dès les premiers plans. En effet, en 1986, Jarman apprend qu’il est atteint du sida et en 1987 son père décède. De fait, le film baigne dans une atmosphère de désespérance, d’errance au sein de paysages dévastés, de bâtiments désaffectés, de décharges et d’immeubles cachés derrière des fils de fer barbelés. Pour ajouter à la dimension intime, presque autobiographique, Jarman a intégré des images d’archives en noir et blanc des années 20 appartenant à son grand-père et des archives de la fin des années 30 de son père. La musique, omniprésente et indispensable au film, met elle aussi en avant un trauma et souligne les thèmes de l’exil forcé ("Refugee Theme" de Barry Adamson), de la violence terroriste ("Terrorists" d’Andy Gill), du sida (les deux extraits de l’album Saint of the Pit de Diamanda Galàs, inspiré par la maladie du frère de l’artiste). Son père souffrant de dépression avait aussi fait l’objet d’un livre que l’artiste avait commencé à cette époque là : Kicking the Pricks. Avec tout cela, on se doute bien que Last of England n’est pas un film joyeux, mais ancré dans une colère.
Propice à diverses interprétations, un peu comme pourraient l’être certaines œuvres de David Lynch, Last of England est tout autant un film de montage, dont le dynamisme renvoie à l’esthétique du vidéo-clip, qu’un cheminement cosmique, s’appuyant sur les éléments du feu, de l’eau, de la terre et du ciel, aboutissant à une danse terminale et tournoyante jusqu’à l’abstraction.
- Copyright Malavida
Mais que voit-on dans ce film et pourquoi certaines séquences sont-elles si marquantes ? En vrac, nous avons des jeunes hommes qui se piquent, des terroristes et des fusillades, un mariage grotesque, un militaire cagoulé et un jeune éphèbe qui copulent sur un drapeau anglais, un autre garçon se masturbe contre un tableau du Caravage, des émigrants en larmes évoquant le tableau même qui a inspiré le film, Tilda Swinton qui déchire sa robe de mariée, les visages de Jordan, égérie punk, ou de Stephen Thrower du groupe Coil, un corps nu qui mange un poulet au sein des ruines, etc. Puis il y a le son, les poèmes récités, les ambulances, les discours de Hitler, les boîtes à rythmes et sonorités industrielles, les hymnes patriotiques anglais, la douce berceuse poignante de Marianne Faithfull (un autre lien lointain avec Kenneth Anger), les fréquences radio, la bande originale de Simon Turner, etc. De tout cela se dégage une atmosphère post-apocalyptique et une critique de ce qu’est devenue l’Angleterre, achevée par le conservatisme et la société répressive.
- Copyright Malavida
Malgré l’horreur et la vision terriblement sombre et triste du monde, Last of England demeure pourtant d’une grande beauté, sûrement en raison de son grain Super 8 ou de ses filtres colorés qui en font un véritable poème visuel. Les ralentis et accélérations de plan y sont utilisés avec beaucoup de musicalité. Et aucune citation n’est laissée au hasard, car si les mots de T.S. Eliot interviennent, c’est bien parce que Last of England pourrait être une adaptation de The Wasteland. Assez proche dans l’esprit du précédent The Angelic Conversation, Jarman nous offre là un pur film-trip, non dénué d’émotions et au bout du compte la danse finale nous amène peut-être à considérer la renaissance après la folie et la destruction. Le titre de Diamanda Galàs de la fin ne s’intitule-t-il pas "Deliver me" ? Une libération peut-elle alors être possible ?
Pessimiste et punk, Last of England est un adieu. Peut-être de celui qui sait que dorénavant la mort approche ? En même temps, la révélation de la maladie va amener Jarman à être ultra créatif jusqu’à son décès en 1994. Film de transe et plus directement politique que le reste de l’œuvre, Last of England est une expérience puissante, étrange et un incroyable témoignage sur l’Angleterre des années 80.
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