Homoérotisme mystique
Le 18 mai 2017
Premier long métrage de Derek Jarman en collaboration avec Paul Humfress, Sebastiane reste un grand classique du cinéma gay, convoquant Pasolini, Fellini et Kenneth Anger autour d’un drame historique sur le martyre de Saint Sébastien entièrement voué à la beauté du corps masculin.
- Réalisateurs : Derek Jarman - Paul Humfress
- Acteurs : Leonardo Treviglio, Barney James, Neil Kennedy, Richard Warwick
- Genre : Drame, Érotique, LGBTQIA+
- Nationalité : Britannique
- Distributeur : Parifilm Distribution, Malavida Films
- Durée : 1h22min
- Reprise: 21 juin 2017
- Box-office : 25.784 entrées Paris périphérie
- Date de sortie : 23 mars 1977
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- Sortie au cinéma et en DVD : 21 juin 2017.
Résumé : Au IVe siècle ap. J.-C., le magnifique Sebastiane est membre de la garde personnelle de l’Empereur Dioclétien. Quand il essaye d’intervenir pour arrêter une exécution, Sebastiane est dégradé puis exilé dans une garnison éloignée dans un lieu désertique où les soldats, en manque de femmes, s’adonnent parfois à l’homosexualité...
Notre avis : Après une vingtaine de courts métrages, Derek Jarman se lance avec Paul Humfress dans la réalisation d’un premier long. Déjà très inspiré par la Renaissance - obsession sur laquelle il s’attardera dans Caravaggio (1986) et Edward II (1991) -, Jarman décide de revenir sur une icône de la culture gay : Saint Sébastien, maintes fois représenté par les peintres italiens de cette époque. Dans un souci de véracité avec une action qui se passe en Sardaigne et à Rome en 303, les réalisateurs choisissent de tourner le film entièrement en Latin, ce qui lui apporte aussi une grande originalité et une étrangeté. Jarman disait lui même que des Romains qui parlent en anglais, cela n’avait aucune logique. Le film est composé d’un prologue qui entre en contraste et qui annonce de manière très concentrée ce que sera l’histoire du film. Pour cela, une danse assurée par Lindsay Kemp a été choisie - et le motif de la danse reviendra souvent tout au long du métrage. Cette chorégraphie à la cour de Dioclétien a pour but de célébrer le soleil, mais s’apparente aussi à une sorte de rituel de fertilité tribal et excentrique. Des hommes tiennent des phallus démesurés et finissent par exécuter le danseur avec leurs jets de sperme, tout comme à la fin, les flèches perceront le corps de Sebastiane, faisant gicler le sang des fraîches blessures. Dans le public, on retrouve autant de jeunes éphèbes que des punks, dont la fameuse Jordan ainsi que Patricia Quinn du Rocky Horror Picture Show, ce qui annonce du même coup le film suivant de Jarman, Jubilee (1978) dans lequel Jordan tient un des rôles principaux. Cet anachronisme délirant, baroque et décadent nous rappelle d’une part que Jarman a fait ses armes dans le cinéma de Ken Russell (Les Diables, Savage Messiah) et contraste aussi avec le reste du film, plus proche de la réalité historique.
© Malavida Films
Mais Sebastiane n’est pas à appréhender comme une oeuvre narrative au sens strict. On serait plus dans une sorte de trip halluciné, souligné par la musique électronique planante de Brian Eno (sa première musique pour le cinéma), et qui aurait retenu les leçons de l’avant-garde à la Kenneth Anger. Un cinéma de la perception, pictural au possible, lyrique et surtout très poétique. Au centre de cette esthétique se trouve le corps masculin, sculptural et érotisé. Et Sebastiane reste un film d’un grand érotisme. Si la relation entre le capitaine Severus et le soldat Sebastiane offre de nombreuses scènes sadomasochistes pendant lesquelles la victime est fouettée, ficelée, maltraitée, crucifiée, c’est aussi dans les relations entre les soldats, et notamment une longue scène de caresses et de corps serrés au ralenti entre Anthony et Adrien, que l’érotisme se fait le plus palpable. Entre violence et amour, brutalité et douceur, cette représentation physique s’imprègne autant des magazines gay spécialisés en beefcakes que de certains films de Fellini ou de Pasolini de la fin des années 1960. Au-delà de cette sensibilité queer, le film nous donne à réfléchir sur le désir et la frustration à travers le personnage de Severus, bien plus complexe qu’il n’y paraît, celui là même qui tue la chose qu’il aime. Sebastiane, lui même, se situe toujours sur cette brèche entre douleur et extase, souffrance corporelle et foi mystique.
© Malavida Films
La force du film, et il a fait date pour cela, c’est de représenter la sexualité entre hommes comme normale. Il n’y aucun jugement moral ou de valeur ici. Les hommes sont isolés, entre eux, et parfois ils s’adonnent à du plaisir. L’amour est aussi abordé sous différentes formes, de l’amitié absolue qu’éprouve Justin pour Sebastiane à la passion destructrice de Severus qui ne peut supporter de ne pas pouvoir posséder ce qu’il désire. De son côté, Sebastiane voue un amour romantique à un Dieu qu’il semble être le seul à voir. Tout cela n’est jamais traité avec ironie, il s’en dégage même une certaine émotion. Rejeté puis assassiné par le groupe d’hommes auquel il appartient en raison de son pacifisme et son refus de se battre, le soldat Sebastiane devient une figure de martyr, et cela peut faire écho à la réalité à laquelle devaient et doivent toujours faire face les homosexuels : l’exclusion, parfois même la haine et le désir de détruire - la triste réalité d’aujourd’hui, en Tchétchénie notamment, ne fait que prouver que ces sentiments n’ont pas encore disparu. Malgré son aspect fantasmatique, Sebastiane nous parle donc aussi d’une vérité émotionnelle. En une sorte de préfiguration de ce que sera le film de Mel Gibson, La Passion du Christ, le corps de Leonardo Treviglio devient le réceptacle de tortures à répétition et qui nous renvoient sans cesse à la peinture de par leur stylisation (voir le plan sur fond bleu où il est transpercé de toutes parts). Jusqu’à sa dernière image, absolument magnifique, le film exhibe cette nudité, ces plastiques bronzées et suantes sur des fonds de paysages admirables : falaises, reflets du soleil sur les eaux tranquilles, étendue de mer bleue, désert de roches...
© Malavida Films
Ovni fascinant situé entre le sacré et le profane, Sebastiane a pu générer autant d’éloges que de réactions outrées lors de ses premières projections à la fin de l’année 1976. Il s’agissait d’un des premiers films - peut-être même le premier - à montrer un sexe en érection dans autre chose qu’un porno. Un des défenseurs du film fut Alberto Moravia et on comprend facilement pourquoi l’Italie est un des pays où Sebastiane a généré le plus d’enthousiasme, un an après la mort du grand Pasolini. À mi chemin entre avant-garde et cinéma érotique, cette œuvre superbement photographiée par Peter Middleton nous prouve d’emblée l’importance de Derek Jarman dans l’histoire du cinéma et nous ne pouvons que féliciter Malavida de permettre de (re)découvrir ce travail influent avec aussi la ressortie de Jubilee, La Tempête et Last of England.
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