Jerichow - la critique

Présenté à la 65ème Mostra de Venise, Jerichow met en scène un douloureux triangle amoureux où la tension et le désir s’étreignent jusqu’à atteindre une certaine forme d’apogée.

L’argument : Renvoyé de l’armée et averti du décès de sa mère, Thomas retourne à Jerichow, une petite ville du nord-est de l’Allemagne. Il souhaite rénover la maison familiale et démarrer une autre vie, mais il n’y a pas de travail dans cette région exsangue. Pourtant, Ali a réussi à y bâtir une chaîne de restauration rapide et une demeure au coeur de la forêt. La route de Thomas croise celle de cet entrepreneur replet, solitaire et méfiant, qui est marié à Laura. Après lui avoir rendu un fier service, le jeune homme taciturne et athlétique devient le chauffeur d’Ali, parfois même son garde du corps. Une vraie rencontre avec Laura semble inévitable. Elle intervient par une belle journée au bord de la mer Baltique, sur une falaise.

© Jour2fête

Notre avis : Thomas et Laura n’auraient jamais dû s’aimer car cette dernière est attachée maritalement à Ali. Mais leur rencontre balaie tout sur leur passage, laissant derrière eux un incommensurable et douloureux désordre affectif. Parce que les deux amants ne sont pas légitimement liés, le cinéaste laisse sa caméra à distance. Les personnages se fondent dans le décor, prennent racine au milieu de la luxuriante campagne allemande. On ne fait que deviner les traits de leur visage, comme si, en s’approchant d’eux, on entrait nous aussi dans le secret de cette relation à peine voilée. Le réalisateur, Christian Petzold, nous offre timidement quelques plans rapprochés lorsque, subrepticement, les deux personnages cèdent à leur désir, tels des adolescents vivant leurs premiers émois. La crainte et la culpabilité imprègnent cette romance. La parole risquant de trahir la réalité de leurs sentiments, ils ne se parlent que très peu.
Faut-il d’ailleurs véritablement parler de « lien » entre ces deux êtres essentiellement rongés par la solitude ? Leurs chaotiques passés respectifs, rapidement évoqués, expliquent leur retrait du monde et leur isolement. Ali, le mari, représente le seul vecteur qui les rattache, l’un comme l’autre, à une vie sociale. C’est d’ailleurs lui qui les pousse l’un vers l’autre, en les incitant à danser ensemble « à l’allemande ». A cet instant, tout bascule : expressément poussés à se rapprocher, ils sont inévitablement entraînés dans un dramatique tourbillon amoureux caractérisé par le mensonge et la souffrance.

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Leur histoire d’amour n’est pas sans rappeler Ossessione de Luchino Visconti où les deux amants s’ébattent non loin du mari prêt à les surprendre. La passion, plus forte que la raison, entraîne le drame. Mais si chez Visconti, avant de sombrer, elle a des parfums de félicité, chez Petzold, la passion est paradoxalement très froide et quasi-transcendantale pour ceux qui la vivent. Une expérience unique, presque mystique : Jerichow est une ode au désir.

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