Incandescence émotionnelle
Le 6 septembre 2023
Alors que les incendies ravagent les terres, les émotions des quatre protagonistes s’enflamment, butent sur les non-dits, pour trouver, non sans mal, leur moyen d’expression. Un film intimiste, poétique, à la mise en scène épurée.
- Réalisateur : Christian Petzold
- Acteurs : Matthias Brandt, Paula Beer, Thomas Schubert, Langston Uibel, Enno Trebs
- Genre : Drame, Romance
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h42mn
- Titre original : Roter Himmel
- Date de sortie : 6 septembre 2023
- Festival : Festival de Berlin 2023
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Résumé : Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n’a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s’enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l’amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.
Critique : Durant un été ardent, dans une maison située au bord de la mer, menacée par les incendies, le réalisateur du Grand prix du jury de la Berlinale 2023 filme ? avec délicatesse et sobriété, un quatuor d’acteurs qui dévoilent avec finesse les émotions qui bouillonnent en eux, prêtes à tout dévaster, comme les feux de forêt qui les encerclent bientôt.
- Paula Beer
- © 2023 Les Films du Losange. Tous droits réservés.
Léon, jeune écrivain bedonnant, au caractère antipathique – son mot favori résumant chaque situation plus ou moins malencontreuse étant « merde » - espère profiter du calme de la maison de vacances de son ami Félix – son contraire, qui s’intéresse à l’eau, surtout pour aller s’y baigner, muni de son appareil photo. Il souhaite terminer la rédaction de son second roman. Mais lorsque tous deux arrivent sur les lieux, ils découvrent des pièces habitées (le linge est en train de sécher dehors, les sous-vêtements traînent un peu partout sur le sol, la vaisselle est laissée à l’abandon sur la table et dans l’évier). La demeure ressemble en cela à la cabane perdue dans les bois que découvre Boucle d’or, ou encore celle de la grand-mère du Petit Chaperon Rouge – influence du conte qui se lit dans la couleur de la robe que porte Nadia, l’invitée surprise qui vit là pour l’été, dans celle du tracteur qui servira à remorquer la voiture tombée en panne, et dans le rougeoiement du ciel en flamme.
Léon, observateur, semble laisser les évènements se dérouler devant lui comme des scènes sur lesquelles il ne possède pas de prises (combien de fois Félix lui demande t-il d’aller se baigner avec lui, jusqu’à ce qu’épuisé et las de ses réponses négatives, il finisse par ne plus le consulter ?) tant il est happé et concentré sur le travail que lui demande son manuscrit ; manuscrit à qui il accorde plus d’importance que tout au monde, puisqu’il s’agit bel et bien de son monde. Il écoute plus qu’il ne parle, semble détaché, distant, présent sans vraiment l’être. Il y a une barrière invisible entre lui et les autres. Lorsque, pour la première fois, il tente de découvrir un univers qui n’est pas le sien – celui de Nadia – il le fait par l’intermédiaire de la musique, qui semble le guider et l’accompagner, poser les justes couleurs sur ses yeux assombris par l’écriture : le disque tournoie sur son socle, diffuse la dernière mélodie écoutée par Nadia, et il voit, au sens de percevoir, ce qui lui appartient : son lit défait, ses habits, sa féminité. C’est une découverte silencieuse de l’intimité, honteuse aussi – parce que vue en secret, soudain rompue par l’arrivée de Félix. Léon éteint le tourne-disque et se rue jusqu’au dehors, où il fait mine de reprendre son activité artistique – c’est une course comique, aux accents satiriques : on saisit combien le réalisateur semble ici se moquer de la rigidité de son personnage.
- Paula Beer, Enno Trebs, Thomas Schubert, Langston Uibel
- © 2023 Les Films du Losange. Tous droits réservés.
Tout réside alors dans le non-dit, le paraître : il faut faire comme si rien, chez l’autre, et surtout chez elle (Nadia) n’éveillait le moindre désir, la moindre attirance. Léon n’exprime pas ses émotions ; il les refoule. Il est taiseux, et tout le film relève d’une bataille entre deux part diffractées du protagoniste, un dialogue interne, entre ce qu’il souhaiterait dire à l’être aimé, et ce qu’il dit réellement.
Durant une nuit agitée – comme quasiment toutes celles que Léon passe dans sa chambre exiguë – il est réveillé par les rires de ses amis (et non pas par les cris d’amour de Nadia et son partenaire ; ou de Félix et de ce même partenaire), jouant avec des raquettes fluorescentes dans la cour. Il les regarde par la fenêtre, et cette séquence poétique par ses jeux de lumières, vient signifier deux choses : l’impossibilité pour Léon d’entrer dans le faire (par un jeu de sur-cadrage, il est prisonnier de l’encadrure de la fenêtre, est voué à demeurer spectateur) ; et le jeu de ping-pong verbal que traduit le jeu de raquette : il faut s’envoyer le volant lumineux, sans le faire tomber, et c’est exactement ce que tentent de faire les protagonistes : avouer leurs sentiments, se dire que l’on s’aime, mais sans les mots, ce qui rend les choses bien plus compliquées : par les gestes (un manuscrit que l’on fait lire à l’autre) ou par les regards.
Les émotions s’exacerbent au moment où les incendies se rapprochent, éclatent quand une pluie de cendres déferle sur la véranda. La nature semble connectée à l’intériorité même de Léon, tout comme la tragédie. Les flammes ravagent ceux qui se trouvent sur leur passage : les animaux meurent, certains hommes également, et, étrangement, les liens se resserrent. Léon finit par ne faire plus qu’un avec le monde qui l’entoure, celui-là même qu’il avait du mal à saisir au départ, lorsqu’il débute le projet d’un troisième roman, où ses mots se collent au réel, détaillent sa propre expérience, sont autobiographiques. Il n’y a plus de gap entre ses phrases qui résonnent dans sa tête et son existence : l’écriture est son être au monde.
Le ciel rouge est donc un film à la mise en scène sobre – peut-être en cela, trop détachée de ses personnages, comme si la caméra ne saisissait que des actions, peu d’émotions, ou alors, très subtiles, douces, qui ne tombent jamais dans l’excès. Il touche par sa problématique actuelle et écologique, par la manière (poétique) dont elle est saisie, par ces questionnements sur la relation à l’autre, sur l’étude des sentiments amoureux, et leur expression.
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