Passé décomposé
Le 28 février 2019
Faux voyage dans le temps mais vrai analyse des mécanismes de l’imaginaire et d’un certain mal-être existentiel. Chef-d’œuvre inépuisable.
- Réalisateur : Alain Resnais
- Acteurs : Claude Rich, Jean Martin, Olga Georges-Picot, Anouk Ferjac, Irène Tunc, Van Doude, Yvette Étievant, Dominique Rozan, Jean-Louis Richard, Vania Vilers, Claire Duhamel
- Genre : Drame, Science-fiction
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Grands Films Classiques, Twentieth Century Fox France
- Editeur vidéo : Éditions Montparnasse
- Durée : 1h30mn
- Reprise: 5 mars 2003
- Date de sortie : 26 avril 1968
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Résumé : Après une tentative de suicide, Claude Ridder participe à une expérience scientifique qui va le faire voyager dans le temps. Il se retrouve projeté un an plus tôt, heureux, auprès de sa femme Catrine. Mais l’expérience devient rapidement incontrôlable...
Critique : Il faut tout d’abord remercier la revue Positif d’avoir exhumé ce chef-d’œuvre oublié, lors du Festival de Cannes 2002. Tout un symbole puisque le film d’Alain Resnais aurait dû être présenté sur la Croisette en 1968 si les événements de mai n’avaient pas eu lieu. À sa sortie, la réception de l’œuvre par le public ne fut pas vraiment mauvaise mais plutôt indifférente : pas assez engagée pour certains, trop complexe et élitiste pour d’autres ; sa carrière en salles fut brève. Cette sortie DVD permettra peut-être de faire découvrir au plus grand nombre les multiples qualités du cinquième long-métrage du cinéaste breton.
On le sait depuis très longtemps, ce qui intéresse avant tout Resnais, c’est la notion d’expérience. L’expérience d’écrire un film avec un auteur de science-fiction belge peu connu, Jacques Sternberg, de créer une forme cinématographique inédite en utilisant une structure narrative éclatée et de sonder l’imaginaire inépuisable de l’être humain nourri par son environnement à la fois intime et historique. Claude Ridder (Claude Rich, dans ce qui restera sans doute son plus grand rôle au cinéma) se promène ainsi dans les dédales complexes de son passé par le biais de la mécanique de sa pensée. Les plans s’enchaînent selon une règle qui peut paraître arbitraire mais obéit en fait à la logique de l’inconscient du personnage. Une idée, un dialogue, un mouvement du héros ou de la caméra se prolonge d’une scène à l’autre, faisant fi de la chronologie diégétique. C’est le temps du souvenir, des regrets, des drames, mais aussi du bonheur, qui prime, créant un mouvement aberrant, parfois répétitif, qui avance à tâtons comme une sorte de work in progress.
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Le spectateur peut être rapidement déboussolé par ce processus osé reposant sur la puissance implacable du montage, mais Resnais lui tend quelques perches afin d’éviter la noyade totale. Il y a bien sûr, en filigrane, l’histoire d’amour entre Claude et Catrine, le suspense autour des conditions de la mort de cette dernière et un humour contagieux propagé par l’interprétation désabusée de Rich et des dialogues frôlant quelques fois l’absurde. Jeux de mots divers et private jokes achèvent de donner un aspect incontestablement ludique à cette entreprise.
Pourtant, et il serait idiot de le cacher car c’est ce qui rend ce film si beau, la tonalité générale de l’œuvre est plutôt désespérée. Resnais nous présente des êtres repliés sur eux-mêmes, des personnages lazaréens traumatisés dans leur âme par la guerre et la découverte des camps de concentration. Ils sont comme paralysés par le poids de l’Histoire, incapables de s’éveiller réellement au monde qui les entoure et de s’engager politiquement, voire même humainement, dans les combats contemporains. Ils se laissent dériver et, pour finir, couler à pic. La mort rôde, le suicide fait figure de libération ultime (malheureusement l’actrice Olga Georges-Picot se suicidera réellement en 1997).
Je t’aime je t’aime nous happe puis nous recrache, totalement lessivés et bouleversés, laissant à jamais une trace au plus profond de nous, faisant office de mètre-étalon pour les innombrables films que nous verrons tout au long de notre vie.
Le DVD
La sortie tant attendue d’un film rare d’Alain Resnais. Forcément un événement pour les cinéphiles.
Les suppléments
Passons sur le livret « prestige » qui n’est autre qu’une compilation des articles parus dans Positif en 2002, lors de la renaissance du film. Les trois autres compléments retracent la genèse de l’œuvre et éclairent le spectateur sur sa confection éclatée. L’entretien avec Resnais est uniquement sonore puisque ce dernier n’a jamais souhaité se montrer pour des interviews filmées, arguant, à juste titre, que le spectateur n’a pas besoin de voir son visage pour se concentrer sur ses paroles. Sa classe naturelle et sa modestie légendaire nous charment toujours autant et rendent très précieux ce court entretien.
Le deuxième document est consacré à la collaboration entre Resnais et le scénariste Jacques Sternberg, décédé en 2006. Des images récentes nous le présentent comme un éternel jeune homme conjurant sa terreur de la mort par un humour absurde qu’il n’a eu de cesse d’employer dans ses romans. Les analyses de François Thomas sont très fines mais, encore une fois, bien trop courtes.
Quant au troisième supplément, consacré à Claude Rich, il est très émouvant. Voir l’acteur vieilli en train de contempler les photos du tournage et de « ce jeune homme qu’il ne reconnaît plus » donne quelques frissons mélancoliques. Toujours empreint d’une sagesse malicieuse, il nous offre un remarquable regard d’acteur sur l’une des plus belles expériences de sa vie.
Image & son
Une qualité d’image impressionnante pour un film « maudit ». Le son mono proposé en Dolby Digital 2.0 est d’une belle clarté. Bref, difficile de faire la fine bouche.
Galerie photos
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