Ion Mud - Amaury Bündgen - la chronique BD

Au croisement d’Arzach et de Blame, Amaury Bündgen livre avec Ion Mud une arcane de science-fiction qui prend aux tripes. Viscérale, comme un mauvais virus qui touche tout un univers, des dédales technologiques jusqu’aux êtres vivants qui le peuplent, cette œuvre fait se former un malaise génial, que l’on pourrait résumer au héros. Toujours au bord de la folie, isolé pendant cinquante ans, il est à la fois très fort pour survivre et très difficile de l’imaginer en compagnie. On y croit, on espère une fin heureuse depuis le début, malgré un héros lisse comme son crâne, fait d’un minimum d’empathie. Pourtant, plus il creuse dans ce monde indéfinissable, plus il devient saisissable, humain et aimable. C’est tout le paradoxe d’Ion Mud, qui ne cesse de se compliquer, avec des indications que l’on pense importantes, et qui ne le sont finalement pas, et des informations majeures qui ne disent pas leur nom. Inextricable, le cheminement propose finalement une conclusion en apothéose, sorte d’épilogue philosophique brutal mais complètement dans la tradition de la science-fiction qui amène toujours l’homme face à ses limites, que la technologie et la connaissance scientifiques n’ont pu résoudre.

Amauray Bündgen / Casterman

Pour ce qui est de l’ambiance graphique, le mot qui conviendrait serait probablement vertige. Dans ces falaises, ces grottes et ces passerelles faites de métal et de boulons, le contraste noir et blanc convient parfaitement. Il y a d’ailleurs très peu de gris, comme si une lumière crue de néon venait constamment frapper le crâne nu du protagoniste, l’aveuglant lui comme le lecteur. Les éléments sont disparates mais toujours reliés, c’est d’ailleurs assez étrange qu’un droïde d’entretien se marie plutôt bien avec un amphibien géant, comment les portes dimensionnelles façon portail magique s’insèrent sans aucun souci dans cet univers mécanique. Le vertige que ressent le lecteur se poursuit malgré les revers, les aventures perdues, les pertes et les chagrins, ou plutôt, comme s’il était entraîné par tout cela, dans un dessin épuisant et hypnotisant.

Amauray Bündgen / Casterman

Ion Mud pourrait très rapidement être considéré comme un monument de la BD SF, tant il en emprunte les codes traditionnels que Moebius et Druillet pourraient apprécier, en renouvelant avec force et élégance le déroulé graphique et le thème de l’errance.