Le 24 octobre 2024
- Réalisateur : Regis Roinsard
- Festival : Festival La Roche-sur-Yon 2024
À l’occasion du Festival de La Roche-sur-Yon, nous avons donc rencontré Régis Roinsard et évoquer avec lui son parcours.
Interview : Loin des cycles de promotion et de leurs interviews express, les festivals de cinéma sont une excellente opportunité de s’entretenir plus longuement et posément avec des créateurs. À l’occasion du Festival International du Film de La Roche-sur-Yon, nous avons donc rencontré Régis Roinsard – connu pour ses films Populaire, En attendant Bojangles et Les Traducteurs – et évoqué avec lui son parcours.
Vous avez tourné beaucoup de clips avant de faire du cinéma. Qu’est-ce que cela vous apporté tant que réalisateur ?
Je voulais faire du cinéma avant même de faire du clip, mais, ado, j’étais totalement fan des grands clippeurs de l’époque : Michel Gondry, Spike Jonze, Mondino… D’autant que beaucoup d’entre eux étaient français. Ce qui me fascinait, c’est que, contrairement à la publicité, on y a souvent carte blanche pour faire ce qu’on veut et que c’est une bonne opportunité de travailler la direction artistique et la rythmique. Depuis mon enfance, je suis fan de comédies musicales, et travailler sur des clips était aussi un bon moyen de travailler sur la musique à l’image. J’adorerais en refaire un mais c’est une économie qui a beaucoup changé.
La particularité, c’est qu’il faut pouvoir faire quelque chose de visuellement frappant pour se distinguer – particulièrement il y a une vingtaine d’années où les clips étaient très nombreux – sans pour autant bénéficier d’un budget très conséquent. Un bon entraînement pour un cinéaste en devenir ?
Oui, car on doit raconter quelque chose et faire vibrer les gens alors qu’on n’a que trois minutes. C’est un super défi ! Je parlais de Gondry, lui était spécialiste de ce genre de vidéos artisanales, avec des Lego ou du point de croix. C’est passionnant, ça. Moi-même, j’ai tourné des trucs complètement fauchés, où je me retrouvais à faire cinquante plans en une journée, façon commando. J’ai adoré ça, et cela m’a beaucoup servi sur le tournage de longs-métrages. Sur des tournages comme ça, on est aussi confronté à plein de choses qui ne fonctionnent pas et il faut être capable de trouver une autre idée rapidement.
Vous le disiez, le clip c’est aussi le mariage de la musique et de l’image. Ça vous a aidé quand il a fallu illustrer par la bande-son vos films ?
Complètement. Et, avant même d’en faire, beaucoup d’images me venaient de la musique que j’écoutais. Mes parents étaient des grands fans de musique de films et les premiers disques que j’ai écoutés, c’étaient les bandes originales de Maurice Jarre, Michel Legrand, Ennio Morricone. Ça a créé beaucoup d’images chez moi. Plus tard, quand j’ai écouté de la pop, c’était pareil. Je me disais : « J’adorerais faire un clip de cette chanson. », puis c’est devenu : « J’adorerais mettre cette chanson dans mon film. »
Vous avez réussi à faire figurer dans vos films un morceau dont vous rêviez ?
Oui, ça m’est arrivé. C’est difficile car, pour certains morceaux, les droits sont vraiment chers. Mais dans Les Traducteurs, par exemple, j’ai réussi à utiliser pour le générique de fin un morceau d’Interpol que j’adore. Certains rêves se réalisent…
Et pour passer du clip à votre premier long-métrage Populaire, le cheminement a été long ?
Assez oui, car j’attendais une histoire dont je pouvais tomber amoureux, et j’ai flashé sur celle-ci. Surtout, j’ai écrit ce film seul, sans chercher à m’adresser à une boîte de production ni à être épaulé par un coscénariste. Je ne savais même pas qu’on pouvait faire ça ! J’ai uniquement été aidé par un ami qui n’était même pas scénariste de formation, avant de trouver un producteur. Le processus d’écriture de Populaire a duré un an à proprement parler, mais le processus de maturation a été beaucoup plus long – le temps de recueillir des informations sur le sujet.
On a souvent de la comédie française l’image d’un genre en vase clos, qui repose souvent sur les mêmes ressorts. Avec Populaire, vous vous orientiez vers quelque chose de différent – plus décalé, plus suranné. Pour cette raison-là, le film a été difficile à monter ?
Bizarrement, non : mon enthousiasme était tel que mon producteur Alain Attal, l’équipe technique, les acteurs, se sont tous rapidement pris au jeu. Beaucoup de gens voulaient travailler avec nous, j’en étais le premier surpris. Beaucoup d’actrices demandaient à passer les essais pour le rôle, même certaines que j’avais du mal à imaginer dans le rôle.
Ce qui ne veut pas dire que le film a été facile à faire ; même si on avait un bon budget, cela restait un film français, donc on n’avait pas nécessairement assez de budget pour faire tout ce qu’on voulait. Quand on voit les budgets des films français, cela paraît énorme mais, s’il avait été fait par un studio hollywoodien, Populaire aurait coûté dix fois plus ! Cela dit, quand je tournais le film, j’ai complètement oublié le budget : mon but était de faire un film, purement et simplement. C’est quand le métrage est sorti que j’ai été confronté à sa réalité économique, au nombre de copies, etc.
Quand il s’agit de recréer le passé, se pose toujours la question de la véracité. De savoir s’il faut privilégier la reconstitution historique ou partir sur quelque chose de plus artificiel, de plus cinématographique en somme. Quelle approche avez-vous privilégié ? Vous avez plutôt étudié les vidéos de l’INA ou les films de Jacques Demy ?
Les deux ! Pour les scènes dans des décors assez vastes avec de nombreux figurants, je souhaitais qu’on garde cet aspect réaliste. À l’inverse, pour les scènes plus réduites avec les personnages principaux, j’avais en tête des références très cinématographiques : Demy, bien sûr, mais aussi Billy Wilder ou Douglas Sirk. Justement, je souhaitais confronter le réel et l’artificiel. C’est cela qui m’intéresse, qui donne des films sur le fil du rasoir.
Vous faites de même dans Les Traducteurs : vous partez d’une situation assez plausible, vraisemblable sur le quotidien de traducteurs, pour aller vers quelque chose de plus romanesque, proche d’Agathe Christie…
Tout à fait, je « milke », je trais tout ce que je peux sur un sujet donné – non seulement pour m’approprier ledit sujet mais aussi pour voir quelles portes dramaturgiques cela peut ouvrir. Dans Les Traducteurs, je voulais en plus jouer sur le côté métafictionnel : ces traducteurs vivent presque le roman qu’on leur a demandé de traduire. C’est un peu comme un roman de gare où l’on est parfois frappé par une fulgurance d’écriture.
Je parlais du fil du rasoir ; pour moi, c’est aussi être sur la crête entre le mainstream, le « populaire », justement, et le cinéma d’auteur. On le voit bien dans un festival comme ici, celui de La Roche-sur-Yon, la limite peut être floue, s’effacer. C’est ça qui est intéressant.
Dans Les Traducteurs, on retrouve également l’idée des langues non pas uniquement comme moyen de se comprendre, mais de se méprendre, de créer des incompréhensions. L’idée de la tour de Babel qu’on retrouve chez des auteurs comme Umberto Eco ou Borges...
C’est assez étrange car, sans que cela it été conscient de ma part, une scène de Populaire et une des Traducteurs sont assez similaires. À la fin du premier, Romain Duris déclare sa flamme à Déborah François et les interprètes présentes la traduisent dans leurs langues respectives. Le second comprend une scène assez proche, sauf qu’elle n’est plus romantique mais est dans le registre du suspense. Ça, je m’en suis rendu compte plus tard. Il y a des motifs auxquels je reviens, comme un os que je ronge. Pour autant, quelle en est la signification ? Je ne sais pas vraiment, et je préfère ne pas trop la théoriser.
Vous disiez que votre premier film avait été étonnamment facile à monter, cela a été aussi le cas du second ? Pour certains cinéastes, il peut être difficile de rebondir, de surcroît quand leur premier film a été un succès public et critique, comme c’était votre cas.
Le mieux est de ne pas se poser la question. On parle du « syndrome du second album » en musique – mais je crois qu’en réalité c’est faux. Que c’est trop y penser qui va finir par jouer contre nous. Si on prend l’exemple d’Anatomie d’une chute, c’est un quatrième film, qui a eu plus de succès que tous les films de Justine Triet auparavant. C’est un peu son OK Computer ou son Kid A. Pareil pour Sean Baker avec Anora.
Pourtant, si je ne me suis pas posé la question, tout le monde se l’est posé à ma place. Quand on fait son deuxième film, on est très attendu au tournant. Je connais beaucoup de cinéastes qui avaient presque été trop gâtés pour leur premier film et ont été accueillis avec une sévérité inédite pour leur second…
Ma chance a été que Les Traducteurs est sorti dans plus de quarante pays et j’ai pu juger les différentes réactions, très diverses d’un pays à l’autre. En Angleterre ou en Australie, par exemple, le film a été bien reçu puisqu’ils sont très férus de crime novels comme ceux d’Agatha Christie, que vous citiez. Pareil au Japon, qui a adopté certains aspects de la culture anglo-saxonne. J’adore accompagner mes films à l’étranger car c’est l’occasion de rencontrer plein de personnes qui me parlent très diversement des films.
En termes de direction d’acteurs également, travailler avec des interprètes de nationalités multiples et pas tous issus, disons, du cours Florent ou du Conservatoire, vous permet-il d’élargir vos horizons ?
Absolument. D’autant qu’il y aura différentes façons d’apprendre à jouer, mais aussi différentes façons de jouer d’un pays à l’autre. Si on prend un film comme (Parasite, si des acteurs français jouaient de cette façon-là, on dirait qu’ils jouent faux, qu’ils en font des tonnes. C’est une spécificité culturelle, et c’est ce qui donne au cinéma une autre dimension. En ce moment, pour le festival, passent des films de Michael Powell ; là encore, le jeu y est très exacerbé mais c’est dans ce jeu outrancier qu’il ui arrivait à trouver une vérité. C’est ce qui m’intéresse moi aussi : trouver la vérité dans le faux.
La difficulté pour Les Traducteurs, c’était de trouver un « la », une note commune à tous les acteurs pour trouver la bonne façon de jouer, d’autant qu’il fallait faire cohabiter et exister jusqu’à quatorze personnages dans la même scène. Pour le reste, quand on a face à soi des acteurs puissants comme c’était le cas pour Alex Lawther ou Sidse Babett Knudsen, on a l’impression de jouer sur un Stradivarius…
Vous parliez de chercher la vérité dans le faux. Quand vous l’annoncez aux interprètes, cela ne leur fait pas peur ?
Alors, bien sûr, je ne leur dis pas comme ça ! (rires) J’attends aussi leurs propositions, je teste, j’écoute, je regarde. Je me prépare beaucoup en amont : j’ai exactement en tête les plans que je veux faire, ce qui me permet de laisser les comédiens expérimenter. Ensuite, j’avise, je vois si ce que j’avais en tête était la meilleure idée ou si eux ont beaucoup mieux à proposer. C’est bien de laisser de la vie sur un plateau, de laisser de la place pour les accidents.
Demander aux acteurs de faire des propositions peut s’avérer payant quand on a un acteur de la trempe de Romain Duris.
Concernant Romain, il y a des moments où je suis perdu, des moments où il est perdu, et où on finit par se rassurer mutuellement. Souvent, on se regarde, et c’est comme si on savait déjà jusqu’où l’autre était prêt à aller. Et puis, Romain est un acteur qui n’a pas peur de grand-chose ; on peut refaire une même scène de nombreuses fois, jusqu’à se qu’on se lâche et que, là, on trouve quelque chose. Il suffit du bon mot, de la bonne intonation, et c’est parti. J’adore travailler avec Romain, je me demande comment font les autres cinéastes pour ne pas travailler avec lui ! (rires)
Comment s’est faite votre arrivée sur le projet d’En attendant Bojangles ?
Ça a été une sacrée aventure ! Je ne connaissais pas le roman, que pourtant tout Paris rêvait d’adapter. L’éditeur avait reçu soixante-dix-sept demandes d’options, y compris de l’étranger. La maison d’édition en charge des droits audiovisuels a donc organisé un concours pour l’acquisition des droits – il fallait être un binôme producteur-cinéaste et présenter sa version du projet. J’avais déjà participé à des concours similaires pour des clips, et ça ne m’intéressait pas du tout. Sauf que, dans la même semaine, cinq producteurs m’appellent pour me proposer de présenter un binôme. Là, je me dis : « Il se passe un truc, quand même… » Et j’avais en tête ces adaptations de livres que les cinéastes ne voulaient pas faire au départ, comme Le Parrain pour Coppola ou Arrête-moi si tu peux pour Spielberg. Il y a donc un moment où il faut savoir reconnaître l’alignement des planètes…
Quelques jours plus tard, j’appelle Thierry de Clermont-Tonnerre, lui aussi producteur, pour lui parler d’autre chose, et je lui dis que j’ai été contacté à cinq reprises pour le film, que je trouve cela bizarre… Il me dit qu’il est à une terrasse de café, qu’il a justement le livre entre les mains et qu’il veut lui aussi qu’on le fasse ensemble. J’ai lu le livre, et c’était pour moi une évidence ; je me suis très vite projeté avec l’histoire et j’ai pensé aux interprètes possibles.
C’est la première fois que vous adaptiez un matériau préexistant, a fortiori un livre à succès. Pour vous, qu’est-ce que cela changeait ?
Pas grand-chose, finalement. Car même quand un livre inclut des descriptions très précises, celles-ci passent toujours par le filtre du lecteur. En tant que lecteur, on se projette toujours dans un monde qui nous est propre, on est déjà dans une logique qui préfigure celle de l’adaptation. Lorsqu’on adapte un livre, il y a forcément une part de subjectivité, que j’ai donc acceptée. Et puis, si le roman d’Olivier Bourdeaut avait connu un grand succès, je n’adaptais pas non plus Le Seigneur des anneaux, ou un livre qui compte déjà des milliards de fans et pour lequel j’aurais pu recevoir des menaces de mort.
J’ai oublié le succès du livre et j’ai tenté d’en donner ma vision, la plus sincère possible. Ce que je souhaitais, c’est qu’on retrouve la même intensité, les mêmes émotions que dans le livre. Pour cela, j’ai structuré l’histoire différemment et changé la tonalité de certaines scènes, qui rendaient bien sur papier mais auraient été moins pertinentes à l’écran. C’est aussi pour cela que des cinéastes adaptent des livres que personne n’a lus ou qui ne sont pas encore parus, pour ne pas se frotter aux attentes du public. Moi, j’ai fait tout l’inverse : ma première adaptation a été celle d’un des romans les plus lus de la décennie !
Propos recueillis par Robin Berthelot
Galerie photos
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