Le 20 février 2025

- Réalisateur : Salomé Da Souza
- Festival : César 2025
Boucan de Salomé Da Souza est nommé au César du meilleur court métrage de fiction. La cinéaste revient sur son parcours et la création de ce film.
Depuis des mois, Boucan, le court métrage de Salomé Da Souza, ne cesse de faire sensation dans les festivals où il est présenté, raflant de nombreux prix. La jeune réalisatrice pourrait même connaître l’apothéose le 28 février prochain à l’Olympia lors de la 50e cérémonie des César, où Boucan est nommé dans la catégorie du meilleur court métrage de fiction. À cette occasion, la cinéaste revient sur son parcours et sur la création de ce film hautement romantique et romanesque, qui suit deux personnages dans le sud de la France, Johannes et Gabin. Ils sont jeunes, ils sont cousins et ils sont amoureux l’un de l’autre.
- Salomé Da Souza
- © 2024 Alta Rocca Films. Tous droits réservés.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours personnel et comment vous en êtes arrivée à réaliser Boucan, votre court métrage ?
J’ai grandi dans un village de trois cents habitants dans le Sud, près d’Alès, au sein d’une famille aimante mais très éloignée du cinéma. Après avoir débuté le théâtre dans mon enfance, je suis montée à Paris pour devenir comédienne. Néanmoins, c’est en écrivant mon premier court métrage, Génération Y X Salopes, que j’ai trouvé ma voie. L’histoire suit des filles qui passent un casting de porno amateur. C’était tourné comme un documentaire mais avec des personnages interprétés par des comédiennes. Lors du montage, j’ai compris que j’avais envie de mettre en scène et de raconter des histoires. C’est là que je me sentais à ma place. J’ai donc intégré la résidence de la Fémis. Puis j’ai tourné un autre court métrage, Rabinar, une autofiction où une jeune fille qui revient dans son Sud natal et constate que son monde a bougé depuis qu’elle a quitté son foyer. Puis je me suis lancé pleinement dans Boucan où je voulais raconter une histoire d’amour romanesque et impossible mais où personne ne peut intervenir dès lors que deux individus décident de s’aimer envers et contre tout.
Comment avez-vous procédé pour aborder aussi frontalement la question de l’inceste ?
Je me suis beaucoup documenté sur ce sujet afin de rester le plus authentique et réaliste possible. Mais après tout, Marguerite Duras disait que le sommet de la passion demeure l’amour charnel que pourrait partager un frère et une sœur. Cela paraît si impossible que le désir est exacerbé. Mais ce qui m’intéresse, ce sont les amours qui s’inscrivent vraiment dans le sang. Une fois que tu aimes plus que tout, cet amour coule dans tes veines. C’est un contrat pour la vie.
Le film est un film à l’esthétique incroyablement pop et colorée. La musique y est aussi très présente…
Je voulais un film avec de la couleur, où l’on puisse se raccrocher durant chaque séquence à quelque chose qui soit ludique et intéressant à regarder. Peu importe votre regard ou votre niveau de cinéphilie. Contrairement à Rabinar que j’avais tourné en Scope pour mieux capter le paysage qui était un personnage à part entière, je souhaitais tourner Boucan au format 4/3, le format du portrait, pour mieux me concentrer sur les personnages et pénétrer leur intimité, leurs âmes. Je voulais une image sans grain, très nette, qui claque, qui soit bling-bling et corresponde à l’énergie volcanique de l’adolescence. Le 4/3 saisit aussi quelque chose propre à l’enfermement car ce sont des personnages enfermés, dans leur territoire, dans leurs codes, dans leur histoire. J’ai écris le scénario avec les musiques en tête. Une chanson comme Et on verra une autre histoire amène de la mélancolie. Je voulais que Boucan soit un vrai mélo. J’ai des origines portugaises et les Portugais sont les êtres les plus mélancoliques au monde. Il y a quelque chose de profond dans le regard de ces gens. Ils sont exubérants entre eux mais pas avec les autres.
Vous révélez des talents très bruts et prometteurs, notamment la jeune Marylou Cabanel. Comment s’est déroulé votre processus de casting ?
Comme j’ai une idée précise de ce que je veux faire sur le plan esthétique, mon plus gros challenge demeure le casting. Je voulais des comédiens avec l’accent du Sud. Ce qui n’existe pas dans les agences où l’on vous demande de perdre votre accent. Cela impliquait de procéder à un casting sauvage. J’ai reçu près de six cents candidatures. Après trois tours de casting, j’avais trouvé mes personnages mais pas mon actrice principale. J’avais des doutes, je pensais modifier le scénario et rendre le rôle plus doux. Puis j’ai relancé les annonces de casting dans les lycées et les journaux locaux. C’est là que j’ai rencontré Marylou et que j’ai su que c’était elle. Cela a été un coup de foudre mutuel instantané. Nous avons répété durant six semaines en amont du tournage, mais sans travailler le texte du film. On jouait des scènes de pièces de théâtre, on allait à la plage, on a construit une relation humaine et de confiance. Et je tenais à jouer dans le film afin d’être au plus près d’eux sur le plateau pour les accompagner.
- Rodrigue Toledo, Maylou Cabanel
- © 2024 Alta Rocca Films. Tous droits réservés.
Il n’est jamais aisé de financer un court métrage. Avez-vous été suffisamment soutenue financièrement ?
Nous avons réuni un budget de 84 000 euros. Ce qui est en dessous de la moyenne, établie aux alentours de 100 000 euros. Le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine a été décisif, tout comme celui de la ville d’Alès et bien sûr de la société de production, Alta Rocca Films, qui a investi toute son aide au programme. J’ai été déçue que les régions PACA et Occitanie ne nous aient pas suivis. Nous avons eu des retours aberrants, comme quoi le scénario était rempli de clichés marseillais. Comment peut-on dire cela ? Marseille est une métropole. Cette histoire se déroule à la campagne. On y voit des taureaux. Où sont les taureaux à Marseille ? (rires). Mais je me réjouis d’avoir pu compter sur le soutien de mon équipe, qui s’avère être la même que j’avais rassemblée sur Rabinar. C’était un tournage familial, nous nous réunissions chez mes parents… et ma sœur a posé toutes ses vacances pour nous aider sur le tournage.
Quels sont les films ayant marqué votre vie de cinéphile ?
Comme j’ai passé mon enfance à la campagne, il fallait faire de longs déplacements pour se rendre au cinéma. Aussi, nous n’y allions que pour voir Harry Potter ou quelques autres grands films familiaux. Ma culture cinématographique s’est donc construite à la télévision. Tous les soirs ou presque nous découvrions un film en famille. J’ai très vite été fan de cinéastes comme Pedro Almodóvar, ou David Fincher et son Fight Club. Je n’étais pas très admirative du cinéma français jusqu’à ce que je découvre l’œuvre d’Abdellatif Kechiche. Ou la Nouvelle Vague lorsque je suis arrivée à Paris.
Le film est une histoire d’amour. Un genre qui a dû vous marquer ?
Bien sûr. Titanic est évidemment indépassable. N’oublie jamais demeure un de mes films préférés. Tout comme Paris, Texas. Un film comme Naissance des pieuvres m’a également beaucoup marquée. sans oublier Vanilla Sky ou Sexe, mensonges et vidéo. D’une manière générale, j’aime les histoires d’amour tragiques. On y vit davantage d’émotions. Même si je peux aussi me laisser séduire par des œuvres plus légères, comme The Holidays ou Licorice Pizza qui me donnent envie de tomber amoureuse. Shéhérazade a aussi été une grosse claque.
Et enfin, quels sont vos projets ?
Je développe mon premier long métrage, Mon Sœur. Il sera tourné en Camargue et évoquera le rapport masculin féminin avec beaucoup de violence. Il s’inscrira dans la même énergie que Boucan.
Propos recueillis par Nicolas Colle