In the land of the blind one-eyed is king

ontrairement à d’autres duos essentiels des musiques électroniques (Orbital, Plaid ou encore Autechre) qui ne conçoivent la création musicale qu’en parfaite autarcie, Mika Vainio et Ilpo Vaisanen de Pan Sonic ont adopté depuis plusieurs années déjà une façon de travailler bien plus ouverte. Les deux Finlandais opèrent en effet régulièrement chacun de leur côté, publiant des disques sous leur propre nom ou se joignant à d’autres électroniciens pour des projets ponctuels (Mika Vainio a ainsi collaboré avec Carsten Nicolai et Ryoji Ikeda l’an dernier pour une série de performances numériques). Cette envie de confronter leur propre univers sonore à celui d’autres musiciens explique sans doute la richesse et la précision du son de Pan Sonic (notamment sur le sommet Aaltopiiri, 2000), ainsi que le sentiment de liberté et d’ouverture que l’on éprouve à l’écoute de leurs albums solos, et en particulier en découvrant ce troisième album signé Mika Vainio.

Cette ouverture est d’ailleurs symbolisée d’emblée par la présence sur la pochette du titre anglais aux côtés du titre finnois, alors que jusqu’à présent les morceaux de Pan Sonic n’avaient droit qu’à un baptême dans leur langue natale. Enregistré à Barcelone et à Berlin, où Mika réside aujourd’hui, le disque n’en rappelle pas moins les plaines enneigées et le grand air finlandais. Si Aaltopiiri donnait l’impression d’avoir été conçu depuis un studio-bunker, en plein no man’s land numérique, In the Land Of the Blind... nous laisse imaginer un Mika Vainio ouvrant régulièrement la fenêtre du studio, laissant le vent et la neige parasiter ses machines et aérer ses rythmes, rendant l’enregistrement chaotique et aléatoire. Mais ceci n’est évidemment qu’un gigantesque trompe-[][]l’oreille, tant Mika maîtrise son univers : des trouées soniques et abrasives (l’effrayant morceau d’ouverture Revi Täällä, Merimies ou la tempête de neige électrostatique de Lumisokea) côtoient des plages en apesanteur, où un silence réparateur est perturbé par l’amplification de parasites sonores (Han Oli Aäni Joskus, traduisible par "Il était un son, parfois", est un modèle du genre). Et alors que l’élément rythmique était un constituant essentiel des édifices sonores de Pan Sonic, il n’est plus ici que simple accessoire occasionnel, libérant ainsi le champ à d’autres explorations, d’autres mélanges plus osés. Ce nouvel équilibre offre à Mika Vainio la possibilité de creuser plus avant un sillon tout à fait personnel et sans nul doute pérenne dans les musiques numériques d’aujourd’hui.