Montagnes qui s’aiment et nids d’hirondelles
Le 13 avril 2024
Ode panthéiste à la beauté fragile du monde, mais échappant à toute emphase mystique par un souci d’observation attentive et même microscopique, le film de Naomi Kawase suscite un émerveillement permanent.
- Réalisateur : Naomi Kawase
- Acteurs : Tohta Komizu, Hako Ohshima, Tetsuya Akikawa, Norio Nishikawa, Kirin Kiki
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : UFO Distribution
- Durée : 1h31mn
- Titre original : Hanezu no tsuki
- Date de sortie : 1er février 2012
- Plus d'informations : http://www.ufo-distribution.com/cat...
- Festival : Festival de Cannes 2011
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Résumé : Dans la région d’Asuka, berceau du Japon, Takumi mène une double vie : tranquille avec Tetsuya son mari, passionnée avec son amant Kayoko, sculpteur qui lui fait découvrir les plaisirs simples de la nature. Lorsque Takumi découvre qu’elle est enceinte, elle voit dans cet événement l’occasion de prolonger l’histoire familiale et les rêves inassouvis de chacun. Ainsi, tout comme au temps des légendes et des Dieux qui habitaient les trois montagnes environnantes, un nouveau triangle amoureux se forme entraînant conflits, rivalités et solitude. Takumi se doit alors de choisir ce qu’elle veut faire de sa vie et avec qui…
Critique : Dans la région de Nara, où vit et travaille Naomi Kawase, la nature, bien que portant les traces de la domestication par l’homme, semble encore vivre de sa vie propre et opposer son rythme à celui d’un monde moderne de plus en plus virtuel où plus rien n’a le temps de mûrir et d’exister vraiment.
Hanezu - l’esprit des montagnes célèbre la splendeur de cette nature en apparence inentamée, embrassant en des plans suffocants de beauté les vallées aux sublimes couleurs automnales pendant qu’on entend, en voix off, des poèmes extraits du Man’yōshū, le recueil de dix mille feuilles, vaste anthologie poétique compilée au huitième siècle de notre ère et célébrant le plus souvent l’amour transposé dans l’univers des fleurs, des fruits ou même des monts qui aspirent à se rejoindre.
Ces plans contemplatifs et ces poèmes dits en voix off ponctueront ce film animé d’un indéniable souffle panthéiste mais qui évite pourtant de tomber jamais dans une quelconque emphase mystique et nébuleuse.
Car même lorsqu’elle filme le vent faisant onduler la forêt, les sources jaillissantes ou une pluie torrentielle la caméra de Kawase reste posée, observatrice attentive aux détails qu’elle va chercher souvent au plus près. Elle s’apparente par moments à un microscope : visages explorés jusqu’à faire apparaître les pores de la peau, araignées vues en très gros plan, couvée d’hirondelles révélée grâce à un bout de glace tenu au dessus du nid.
Le drame humain, celui de Takumi obligée de choisir entre deux hommes, n’y passe par pour autant au second plan. Mais il est partie intégrante d’un ensemble où tout à sa place, sans véritable hiérarchie : le travail artisanal (la sculpture sur bois pour Kayoko, la teinture pour elle), les récits familiaux et les albums photo qui en gardent la trace, le passé qui ressurgit sous forme de gravats (les vestiges boueux de l’ancienne capitale enfouie ramenés au jour par l’excavatrice), le souvenir des traditions villageoises disparues, évoquées lors d’une veillée entre hommes, mais aussi les morts qui côtoient les vivants comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
Car dans Hanezu, film étonnamment fluide et d’où toute crispation est absente, passé et présent, vie et mort, nature et monde moderne dialoguent en une harmonie précaire qui n’ignore pourtant pas la douleur liée à la prise de conscience du changement perpétuel, ni la violence qui l’accompagne : le mari découvert sans vie dans l’eau rouge sang de sa baignoire ; l’amant qui se taillade les doigts de la main droite (on le verra tenter de sculpter maladroitement de la gauche). Mais la tragédie est acceptée, prise dans le flux du temps et de son avancée inévitable.
Cette acceptation n’est pas résignée et c’est l’émerveillement devant la beauté fragile du monde et de l’existence humaine qui l’emporte dans ce film magnifique où une fois encore Naomi Kawase, cinéaste (La forêt de Mogari) et productrice (Mitsuo no kuri - Last chestnuts), s’inscrit dans la lignée des Shimizu ou des Ozu dont elle perpétue et renouvelle la démarche créatrice.
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