Le 10 mars 2018
- Plus d'informations : Ghostland - la critique du film
En seulement quatre films en quatorze ans, Pascal Laugier s’est imposé comme une figure à part dans le milieu très fermé du cinéma de genre français. Choyé par les autres, conspué par les autres, chacun de ses nouveau film fait toujours couler beaucoup d’encre. Nous avons profité de l’occasion de la sortie de Ghostland pour en discuter avec lui.
Alors que le public se plait à voir un « renouveau du cinéma de genre français », te voilà qui nous revient avec un film produit outre-Atlantique. As-tu définitivement renoncé à produire tes films en France ?
Ça fait plus de 15 ans que j’entends parler de ce retour du film de genre en France. Depuis Le Pacte des Loups qui était, en 2001, LA grande réussite avec ses 5 millions d’entrées, et on a eu derrière ça une salve de films pas terribles et mal produits. On ne sait pas les faire, alors on arrête. J’en ai marre d’entendre parler de ça. Si ça bouge en France, tant mieux, mais ce n’est pas parce que Grave –qui est un film que j’aime beaucoup, je ne dis pas ça contre Julia Ducournau– est aux César que ça va bouger, je trouve ça un peu grotesque. D’abord, la contre-culture n’a rien à foutre dans les institutions, donc j’y suis très indifférent, et quand le train est passé il ne faut pas essayer de le prendre en marche. Je suis sorti de ce débat rhétorique, mais je ne veux pas être défaitiste : que tous les gamins qui veulent prendre leur caméra numérique, le fassent. Ceux qui le veulent plus que les autres trouveront toujours le fric pour faire le film qu’ils veulent faire.
Le fric, tu es quand même obligé d’aller chercher ailleurs pour faire tes films.
Ghostland est un film produit par de l’argent européen à 70%. Tout ça toujours sur mon système de bricole fait de coproductions étranges. Je vais chercher l’argent où je peux le trouver. C’est soit ça, soit je ne tourne pas. C’est le troisième film que je fais avec le crédit d’impôt canadien et l’aide de Canal Plus qui reste fidèle à mon travail. Tout ça grâce à Clément Miserez, qui avait déjà produit The Secret. Il y a cru, il y est allé à fond et il a récolté 4 millions et demi d’euros et on a tourné en quarante jours, on se démerde quoi ! Le seul prix à payer pour moi c’est de ne faire un film que tous 5 ou 6 ans alors que j’aimerai en faire deux fois plus, donc ça me rend très malheureux, mais tant que je n’aurai pas trouvé un système de production un peu pérenne, je ne peux rien prévoir.
Comme tes précédents films, Ghostland se construit sur un twist à mi-parcours qui fait évoluer la perception du spectateur. Pourquoi aimes-tu tant baser ton écriture sur ce petit jeu ?
C’est quelque chose que je n’ai pas anticipé mais c’est vrai que la question du point de vue me tarabuste beaucoup. Elle est même au cœur de mon métier de cinéaste. Le problème que j’ai avec un certain type de cinéma hollywoodien de masse, c’est justement l’absence de point de vue, c’est que je ne sais même plus qui raconte l’histoire. Je n’y vois plus que du multi-caméra et j’ai l’impression que le seul point de vue, c’est celui du producteur. Moi, je viens d’une tradition de cinéma où, parce qu’on n’avait pas le temps de mettre des caméras partout, on devait choisir ce qu’on voulait montrer. C’est qu’on appelle la mise en scène. Le principe du cinéma numérique qui fait passer la caméra entre les couilles de King Kong juste parce qu’on peut le faire techniquement, j’ai du mal avec ça ! En tant que spectateur j’ai besoin de sentir la présence d’un narrateur, et de l’autre côté, quand je fais des films, je veux accompagner le public dans le monde que je crée et pas l’écraser avec.
- Saint-Ange (2004)
L’autre élément récurrent dans tes films, c’est la place que tu donnes aux femmes dans cet univers pervers. Certains veulent y voir une misogynie sadique, d’autres un féminisme radical. Comment l’expliques-tu ?
C’est incroyable, il y a encore deux ou trois journalistes qui sont venus, pour ce film, m’accuser de misogynie. Il faut se rappeler que mon cinéaste préféré, Dario Argento, s’est tapé les mêmes réflexions imbéciles pendant trente ans. Elles ont été oubliées, et ce sont ses films qui restent... il faut me souhaiter la même destinée. A chaque fois, il y a ces deux ou trois mêmes journalistes qui vont prendre le film de façon réactionnaire, mais, quoi qu’on en pense, c’est un contresens total à mon travail : Je n’arrête pas de montrer des femmes qui refusent de se limiter à leur statut de victimes pour devenir quelque chose de beaucoup plus intéressant. Comme disait Sacha Guitry, si mon cinéma est contre les femmes, il tout contre elles. A côté de ça, le « Journal des Femmes » y voit un film girl-power, et veut le mettre en avant. Je laisse chacun avec ses idéologies et je trace mon chemin.
- The Secret (2012)
Un autre adjectif qui revient souvent à propos de tes films, c’est « malsain ». Est-ce que cette dimension est quelque chose qui vient naturellement dès l’écriture ?
Quand j’écris, je ne me dis jamais que ça va être malsain. Je me dis plutôt que ça va être tordu ou que ça va être intéressant. Je me dis surtout qu’un film d’horreur doit être, pour le spectateur, une expérience du mal, sinon ça n’a pas grand intérêt. A treize, quatorze ans, quand j’ai commencé à me poser les grandes questions philosophiques de la vie, « C’est quoi le bien ? » « C’est quoi le mal ? » « C’est quoi les monstres ? » « C’est quoi la normalité » « Est-ce que je suis normal ? » « Est-ce que je suis pervers de bander ? »... tout ça, le cinéma d’horreur me l’a montré d’une manière qui m’a fait du bien. J’ai toujours trouvé que ce genre était très bienveillant dans sa façon de parler des inadaptés, des introvertis... ça m’a parlé parce que je me sentais comme ça à l’époque. Alors, je ne me suis jamais posé la question du malsain. D’ailleurs, je me méfie même de ce mot qui peut être à charge. Si par « malsain » tu entends « un inconfort métaphysique à regarder des images que tu te demandes si tu as le droit de les regarder », c’est exactement ce que je me rappelle avoir ressenti en voyant Suspiria pour la première fois et du coup c’est tout ce qui m’intéresse dans le genre !
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