La preuve par cinq
Le 10 juin 2003
Cinq chapitres pour raconter cinq moments d’une existence. Djian, au meilleur de sa forme, se lance dans un subtil exercice de style.
- Auteur : Philippe Djian
- Editeur : Gallimard
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Française
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Cinq instantanés d’une existence, comme cinq mises en lumière. Cinq fragments d’une vie, celle d’un gosse de onze ans d’abord, que l’on va regarder grandir, évoluer, mûrir, vieillir [1]. Un gosse choyé par sa mère. Le père est absent mais sa présence silencieuse pèse entre ces deux rescapés. Et le premier chapitre nous raconte le retour de ce père un peu atypique, l’espace d’une soirée. Cut. On le retrouve à 18 ans. Il cherche ses marques. Sa mère est plus que jamais au centre de sa vie. Elle choisit mal ses amants, il saura lui démontrer qu’elle fait fausse route. Cut. Un peu plus vieux, marié. Cut. On avance, jusqu’à ce qu’il devienne père et que les rapports s’inversent. Qu’il comprenne, enfin, que chaque médaille a son revers. Qu’en fait de relation avec un enfant, maintenant qu’il a une fille, il n’a pas grand chose à envier à sa mère...
Le tour de force de Djian tient ici dans les non-dits, les silences et les moments laissés dans l’ombre. Car, pour emmener son personnage sur plus de trente ans en taisant des pans entiers de son histoire et parvenir à une telle cohésion, nous sommes bel et bien face à un magistral tour de force. Une fois n’est pas coutume, Djian fait court. Mais pour mieux démontrer que la littérature n’est qu’une affaire d’exposition, de point de vue et d’épure. Quelques libertés linguistiques hérisseront le poil de certains ("Je laissai mon regard vaguer un instant sur les rougeoiments du jardin"), mais la prose de Djian c’est avant tout cette harmonie et cette magie, ces mots qui sonnent justes, qui se tiennent les uns les autres comme les inséparables maillons d’une chaîne.
Frictions, c’est un terrible constat sur la fatalité des sentiments et des fantômes qui nous hantent. Sur ce qui nous marque pour ne plus jamais s’effacer, ce que l’on transmet à nos proches en toute inconscience. Analysées, décrites et racontées par Djian, ces frictions deviennent un grand moment de littérature. Pour ce treizième roman, il tape une fois encore dans le mille et balaie tous les doutes. Oui, Philippe Djian est devenu un écrivain indispensable.
Philippe Djian, Frictions, Gallimard, 2003, 168 pages, 16 €
[1] Le premier chapitre de Frictions, une nouvelle à l’origine de ce roman, a été publié dans Le Monde en juillet 2002
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