Fräulein Piccolo (Mademoiselle Piccolo) - la critique

Cette brillante comédie du travestissement permet d’apprécier les arts conjugués de l’irrésistible Dorrit Weixler et du délicat Franz Hofer, un des très grands cinéastes des années 1910.
L’argument : Mademoiselle Lo quitte le pensionnat et retourne chez ses parents, propriétaires d’un hôtel qui doit bientôt accueillir six lieutenants participant à des manoeuvres dans la région. La femme de chambre s’étant enfuie avec le piccolo (l’apprenti groom), elle accepte de les remplacer tous les deux, passant sans arrêt d’un déguisement à l’autre. Les choses se compliquent lorsqu’elle tombe amoureuse d’un des lieutenants, Clairon. Mais l’intervention en Deus ex machina de son amie de pensionnat, Röschen, cousine du lieutenant, permettra un happy end.
Notre avis : Bien avant Viktor und Viktoria (Reinhold Schünzel 1933), Fräulein Piccolo est une brillante comédie du travestissement, genre très populaire en Allemagne dont l’irrésistible Ich möchte kein Mann (Lubitsch 1918 avec Ossi Oswalda) et Komtesse Doddy (Jacoby 1919 avec Pola Negri) fournissent d’autres exemples.
Tourné en juin 1914, le film connut quelques démélés avec la censure des années de guerre : interdit totalement le 5 juin 1915, puis aux mineurs le 11 décembre 1918 et à nouveau le 24 août 1921 malgré la suppression de 49 mètres de pellicule.

Fräulein Piccolo - Franz Hofer 1914

Le charme de l’oeuvre repose en grande partie sur l’extraordinaire vivacité de son interprète principale, la délicieuse Dorrit Weixler, qui gambade joyeusement dans tous les sens, fait des clins d’œils aux spectateurs et s’amuse visiblement des transformations à vue que lui impose son triple rôle. Elle est secondée par une troupe d’acteurs aguerris aux techniques du vaudeville et au
timing comique irréprochable. La courte scène d’altercation entre la femme de chambre et le commis voyageur interprété par un Ernst Lubitsch déjà célèbre grâce aux comédies de Carl Wilhelm est un modèle de duel burlesque, le ton montant très vite et l’affrontement se soldant par une série de lancers de valise.

Fräulein Piccolo - Franz Hofer 1914

Mais outre une mécanique comique parfaitement huilée c’est la touche Hofer qui fait le prix de Fräulein Piccolo : sens subtil de la composition de l’image (discrète mélancolie d’un plan sur l’embarcadère) et de la chorégraphie ; élégants mouvements latéraux qui accompagnent les déplacements des acteurs ou balayent un décor (notamment lors de la très belle scène de bal où un mouvement, ascendant celui-là, découvre le balcon) ; jeu sur la profondeur de champs lorsque le piccolo sortant de la grange au fond, traverse la cour à toute vitesse, escalade le mur et entre par l’embrasure de fenêtre qui sert de cadre à ce plan unique ; jeux sur les objets (gros plan en miroir, ouverture et fermeture d’une porte à deux battants).
Tous ces effets de style se retrouveront dans les comédies allemandes de Lubitsch, mieux huilées, plus concentrées sur l’efficacité comique et sur la célébration d’une vitalité qui fait éclater les carcans de la société (masculine). Mais cet aspect libertaire et féministe n’est pas moins présent chez le délicat Franz Hofer dont les films respirent une liberté que le cinéma retrouvera rarement.
Fräulein Piccolo, enthousiasmante comédie teintée d’un lyrisme discret, nous fournit une des trop rares occasions de nous délecter de l’art subtil de ce cinéaste longtemps méconnu et dont quelques films seulement ont survécu.

Fräulein Piccolo - Franz Hofer 1914

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