Le 16 octobre 2014
- Festival : Festival Lumière
Après Baby Cart l’an dernier, nouvelle incursion dans le film de sabre avec la saga Musashi Miyamoto et début du cycle westerns spaghettis...
Souvenez vous. Il y a de cela quelques temps, le festival Lumière nous avait fait l’honneur de proposer l’intégralité de la saga Baby Cart, soit six volets consacrés aux aventures d’un samouraï solitaire obsédé par la vengeance. Avec la légende de Musashi Miyamoto, également présentée dans son intégralité grâce au concours du centre culturel franco-japonais de Lyon, on retrouve la figure du ronin, ce bretteur solitaire sans maître, qui a fait les beaux jours du film de shambara. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, la chronique d’un spectateur illuminé finira par changer d’arme, histoire de se mettre au parfum d’une révolution mexicaine très caliente avec El Chuncho !
Autre grande saga japonaise partant du mythe de Musashi Miyamoto, célèbre samouraï errant à la recherche de sa propre spiritualité en affrontant les membres des dojos qui croisent sa route, cette « sexalogie », adopté du roman La Pierre et le Sabre de Yoshikawa Eiji, est considérée par les puristes comme l’une des plus réussies des années 60. A noter que cette histoire ancrée dans le Japon féodal (nous sommes en 1600) où les équilibres n’ont de cesse de se briser et où le pouvoir ne cesse de changer de main avait déjà été adaptée en 1954 avec dans le rôle titre le célèbre acteur japonais Toshirô Mifune, celui de Rashômon et des Sept Samouraïs. A la différence de Baby Cart, qui présente un homme d’âge mur qui n’a plus rien à perdre après avoir été trahi par tous, Takezo, le héros du film, est un gamin non éduqué qui rêve de duels et de gloire et qui ne choisit pas la « bonne » voie du sabre. C’est grâce à l’éducation et à l’élévation spirituelle que ce dernier pourra s’en sortir et tendre vers un idéal du zen. Mais le chemin est rocailleux et il reste à se frotter au monde des hommes, ce qui n’est pas une mince affaire. Nous n’allons pas vous mentir, nous n’avons vu que les deux premiers épisodes, qui cependant présagent de grandes choses pour la suite. Le premier met en lumière la sottise du héros, qui, après son illumination par l’apprentissage, cessera d’être un garçon pour devenir un homme, troquant sa superbe contre un manteau d’humilité encore très fragile. Ne pas s’y tromper, Musashi est bien un héros terrestre. C’est bien là tout son drame, lui qui sera sans cesse tiraillé entre son idéal ascétique et son besoin d’incarnation en tant qu’homme, avec ses défauts et ses failles. Une remise en question perpétuelle, sorte de quête initiatique itinérante, qui passionne par la réflexion sur le monde intérieur du personnage, et subjugue par la force de certaines images -en particulier des intérieurs à la lumière « verdâtre » absolument fulgurants-. Et tout cela ne respire même pas le manichéisme, car tous les personnages sont troubles et peuvent basculer à n’importe quel moment dans la folie où la vengeance. Autrement dit, le samouraï est un homme qui ne peux que tendre à la perfection mais jamais l’incarner car il n’est pas le bouddha. Il reste profondément attaché à son statut terrestre, à ses sentiments humains, à son envie de posséder (un titre, une femme), à sa vanité. Ce n’est pas pour rien que Musashi est toujours présenté avec des doubles inversés de lui-même. : des fainéants, des cupides, des vantards, qu’il pourrait lui même devenir s’il n’y prend pas garde. Il s’emporte d’ailleurs facilement, tue un certain nombre d’opposants, et est d’une certaine manière esclave de son sabre qui, lui, n’est pas une abstraction, mais bel et bien réel. On pense parfois au Sabre du mal, chef d’œuvre en noir et blanc qui voit la déperdition d’un ronin invincible possédé par la noirceur de sa lame. Bien qu’anachronique, il y a aussi beaucoup de Star Wars là dedans, quand on y pense ! A la différence que notre ami est un pauvre gars de la campagne sans père, bon ou mauvais soit-il. Mais trêve de psychologisation, il y a dans le film des émotions qui se passent de mots, que le cinéaste attrape avec sa caméra avec quelques gros plans bien sentis. Le réalisateur prend son temps, distille ses plans-séquences à la louche pour prendre le pouls de cette société japonaise médiévale. Références au kabuki, à Kurosawa, nombreuses séquences surjouées, nous sommes bien dans un authentique film japonais qui refuse toute forme de spectaculaire, préférant souvent traiter les combats de manière elliptique ou expéditive. Quelques giclées d’hémoglobine certes, mais les séquences de combats sont loin de s’enchaîner comme dans Dragon Ball ou Bleach, pour reprendre l’idée du sabre, et rendre un petit hommage au phénomène manga. D’une certaine manière, on se rapprocherait plus du cinéma « naturaliste » d’Ozu, avec un travail absolument épatant en terme de recherche de couleurs. Du grand, du très grand cinéma populaire. 12 heures au total !
- Combat au sabre dans le deuxième volet de la saga Miyamoto : "Les moines lanciers du temple Hozoin"
Autre exemple de cinéma populaire, italien cette fois, nous avons eu la chance de voir El Chuncho, western italien réalisé en 1966 par Damiano Damiani (n’est-ce pas que le nom en jette ?), El Chuncho, incarné par le très grand Gian Maria Volonte (le méchant au regard fauve de Pour une poignée de dollars et Pour quelques dollars de plus de Leone), pseudo-révolutionnaire mexicain qui « récolte » les fusils du gouvernement pour les revendre aux rebelles emmenés par un général dont nous avons omis d’écrire le nom. Après l’attaque d’un train, il se prend d’affection pour un gringo, l’américain Bill Tates, personnage énigmatique et laconique qu’il emmène avec lui dans ses violentes pérégrinations. Mais que cherche vraiment le gringo ? On vous laisse le découvrir. Malgré les indices laissés ça et là, Damiani propose un double twist final qui laisse pantois et aurait pu inspirer un Tarantino pour la fin d’Inglorious Basterds. Notre main à couper que le monsieur a du le visionner un certain nombre de fois. Quoiqu’il en soit, le film tire sa force de sa volonté de présenter un antihéros à la fois dur et un type qui fait les mauvais choix mais finit par se racheter. Violent, exubérant, complètement surréaliste par moments, El Chuncho est à classer dans ces westerns à part, qu’on a appelé westerns « Zapata », du nom du révolutionnaire mexicain qui lutta pour ses idéaux, personnage éminemment complexe lui-aussi. Tiraillé entre ses idéaux et sa cupidité, Chuncho n’a rien d’un homme d’exception. Pire, il ne connaît que la loi du fusil et n’hésite pas à trahir les siens au besoin. Impulsif, irréfléchi, borné, Chuncho est un homme bourré de défauts, un antihéros par excellence, et c’est ce qui le rend si accessible. Contrairement à la première période Leone (La trilogie du dollar), Damiani ne nous compte pas l’histoire d’un homme seul dont on découvrira le passé par petites touches. La motivation de l’américain apporte finalement peu car ce qui intéresse le cinéaste, c’est la fascination qu’exerce cet El Chuncho, qui aurait pu devenir un symbole de la révolution mais reste en attente de son destin. Le personnage est merveilleusement brossé dans son environnement, chef d’un groupe d’individu qui fait penser étrangement à la future Horde sauvage de Peckinpah. Avec un Klaus Kinski, illuminé génial, qui dézingue tout sur son passage avec une ferveur incroyable. Beaucoup d’humour, du fun, un scénario et des dialogues complètement décomplexés, un rythme virevoltant, une réflexion sur la nature humaine et notre regard de spectateur trop rare dans ce genre de cinéma, El Chuncho est un petit bijou oublié qu’il serait dommage de manquer. Un objet rare, étrange et hybride, quelque part entre le Django de Corbucci, Le Bon, la Brute et le Truand, le Viva Zapata ! de Kazan tout en reprenant quelque chose des westerns classiques à la John Wayne. Petite anecdote, et non des moindres, le film est italien (le maquillage de la belle italienne tentant de se faire passer pour une espagnole bien hâlée est d’ailleurs là pour en attester), les acteurs parlent en italien et en espagnol -avec moult « cabron » et autres mots du cru, ce qui amène un mélange parfois assez détonnant-, et le film a réussi le pari de faire revivre la révolution mexicaine en tournant en Espagne. Pas mal non ?
El chuncho trailer :
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