Le 15 octobre 2014
- Festival : Festival Lumière
Un Abel Gance méconnu entièrement restauré, Wake in Fright, le film choc de Ted Kotcheff et de la bonne vieille SF avec L’homme qui rétrécit.
Pour cette deuxième journée, la chronique d’un spectateur illuminé vous propose trois expériences bien différentes, trois styles aussi, avec cependant un thème commun : celui du traumatisme et de la souffrance. L’homme, une fois encore, pris dans son époque, être torturé, malmené par la vie mais cherchant toujours à se relever afin d’assurer sa survie. Quand Abel Gance, Ted Kotcheff et Jack Arnold nous font humer un certain air du temps, le parfum, tantôt doucereux, tantôt brutal, reste longtemps dans les narines.
Abel Gance, considéré comme l’un des pionniers du cinéma avec Griffith, génie du muet qui a su s’adapter aux contraintes du parlant, réalise en 1939 Paradis perdu, film de commande, alors qu’il rêve de tourner son Christophe Colomb en Espagne. Alimentaire peut-être, mais on se plaît à revoir dans une magnifique copie restaurer ce film simple et beau qui met la larme à l’œil sans pour autant verser dans le ridicule. Paradis perdu, c’est l’histoire d’un homme qui rencontre une jeune femme, l’épouse, et doit, comme des millions de mobilisés, partir au front. Lorsqu’il revient, son amour est déjà morte en mettant au monde une petite fille. De là, il n’aura de cesse de vivre enfermé dans son passé, jusqu’à ce qu’il retrouve dans sa fille un nouvel espoir, un nouvel idéal et une raison d’être heureux. La charge sociale et le mordant en moins, le travail de Gance a quelque chose de celui de Renoir, notamment dans la composition du cadre, qui embrasse comme une peinture les joies simples de la vie : un bal populaire, une promenade au bord de l’eau... Magistral dans sa construction en triptyque, le film met en avant la mentalité ambiante dans cette France de l’entre deux-guerres, traumatisée par la « der des der », et qui se dirige pourtant inexorablement vers un second conflit mondial. Le paradis perdu, c’est avant tout cette avant-guerre où tout semblait possible, et où l’amour fleurissait comme un bourgeon, personnifié par le couple Fernand Gravey / Jane Marken (qui joue également le rôle de la fille), d’une fraîcheur vivifiante avant la subite et sournoise tempête qui s’abattit sur l’Europe. La chanson à la base de cette union bénie : « Paradis perdu », leitmotiv musical du film, reste gravée dans la tête et apporte à l’histoire toute sa légèreté. Car c’est bien d’amour qu’il s’agit, un amour si pur et inconditionnel qu’il ne peut exister que dans les films.
- Fernand Gravey / Jane Marken dans "Paradis perdu"
Lumière nous a gratifié d’un beau cadeau cette année avec la participation de Ted Kotcheff, réalisateur du mythique Rambo et d’un film moins connu mais tout aussi important dont nous aurons bientôt le plaisir de vous proposer une critique complète : Wake in Fright (Réveil dans la terreur. Remastérisé il y a trois ans dans le cadre de Cannes Classics, Réveil dans la terreur fait partie de ces films-expériences qui vous tiennent et ne vous lâchent plus jusqu’à la dernière suffocation. Un univers ouvert sur le désert mais complètement claustrophobique où l’on assiste impuissants à la descente au enfer d’un personnage d’apparence ordinaire se confrontant à ses instincts primitifs, au retour du refoulé. Un instituteur d’un village d’Australie se retrouve par hasard dans la petite ville minière de Bundayabba alors qu’il se rend à Sydney pour passer ces vacances. Là, il va rencontrer des gus de l’outback australien qui révéleront en lui une sauvagerie qu’il ne connaissait pas. Notons que le film est sorti un an avant le chef-d’œuvre de Boorman, Délivrance, qui propose lui aussi une vision sans concession d’un paradis perdu où la nature reprend tous ses droits. Le mythe du redneck, sauvage primitif perdu au milieu de nul part, a beaucoup inspiré le cinéma de genre (on pense à une longue lignée de films d’horreur, Massacre à la tronçonneuse ou La colline a des yeux en tête), mais Kotcheff en a fait autre chose encore, quelque chose de plus sourd et d’encore plus terrifiant. L’interprétation de Donald Pleasance en dégénéré alcoolique est hallucinante, voire glaçante, mais c’est Gary Bond, le jeune instituteur au visage angélique révulsé par ce qui l’entoure, qui tire véritablement son épingle du jeu. Summum de la barbarie, la scène de la chasse aux kangourous est une véritable épreuve qui nous interroge directement sur notre propre part de noirceur. Choquant mais salvateur. Âmes sensibles s’abstenir.
- Qui est la bête ? dans "Réveil dans la terreur"
Avec Donald Pleasance, le scientifique dissident du Voyage fantastique, au générique de Wake in Fright, la transition vers la SF était toute trouvée. Autre époque, et même problématique que dans Le Voyage fantastique d’ailleurs, L’homme qui rétrécit, petit bijou de série B, arrive sur les écrans en 1957, en pleine guerre froide. C’est dire si, outre le rapport à la taille, le film est hanté par le traumatisme de la bombe atomique et la possibilité d’une attaque nucléaire imminente. Spécialiste de la série B et du film fantastique, Jack Arnold (La créature du lac noir, Tarantula !), a su recréer avec L’homme qui rétrécit l’ambiance paranoïde qui régnait à l’époque aux États-Unis. Pour tous, la menace vient du ciel, et l’invasion des OVNI n’est qu’un des symptômes de cette paranoïa de masse. L’intérêt du film réside dans le rétrécissement progressif d’un personnage qui a le temps de constater son évolution et sa disparition progressive du monde des hommes pour découvrir un monde plus dangereux encore où tout élément devient une menace. L’angoisse ne cesse de monter d’un cran, mais l’homme fait fi de son apocalypse intérieur et va vaincre l’adversité jusqu’à ne plus éprouver la peur. Mise en abîme, cette peur, c’est avant tout la peur de l’autre, la peur de l’inconnu qui pousse les hommes aux pires exactions. Par là même, Arnold lance un message d’espoir : chacun fait partie d’un tout, nous sommes tous victimes de la création. Alors pourquoi chercher à la détruire quand il s’agit de la comprendre. Un chat géant, une vilaine araignée velue, une inondation, les ennemis sont partout, et même là où on ne les attend pas. Le foyer américain, symbole de l’ordinaire, devient un véritable champ de bataille, reste d’un maccarthysme qui a ravagé le pays de l’intérieur pendant quatre ans. Comme quoi, pour sortir de la psychose, il faut avant tout s’y confronter. Rien ne vous empêche d’essayer chez vous. Il suffit d’annoncer : Chéri(e), j’ai rétréci les gosses ! Panique assurée !
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