Le cri d’un peuple bâillonné
Le 16 octobre 2021
- Date de sortie : 22 avril 2021
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
En novembre 2019, en réaction à une révolte populaire, les dirigeants de la République islamique coupent la connexion Internet du pays. Ils massacrent à huis clos, en moins de trois jours, au moins 1 500 manifestants pacifiques.
Résumé : Depuis 1979, l’Iran est devenu l’un des pays les plus fermés au monde, et son régime l’un des plus dictatoriaux. L’économie est exsangue, les désastres écologiques accablent la population, par ailleurs ravagée par la Covid-19. La plupart des journalistes iraniens sont en prison et les femmes qui résistent à la domination religieuse sont réprimées. Privés de leurs droits fondamentaux, et en l’absence de libertés politiques, les Iraniens ont pour seul espace d’expression les réseaux sociaux. Le contrôle d’Internet est ainsi devenu un enjeu majeur pour les responsables politiques, obligés de s’en réapproprier les codes pour diviser la société. La mobilisation virtuelle annoncerait-elle un soulèvement populaire ? Mahnaz Shirali a mené l’enquête au cœur de ces réseaux sociaux. À la lumière de l’histoire et de la culture iraniennes, son analyse des réactions et des comportements des internautes révèle un peuple iranien bien différent de celui habituellement représenté dans les médias, et dont les récits semblent être autant d’appels à l’aide.
Critique : Mahnaz Shirali construit un nouveau rapport à son pays - l’Iran - à partir de la France, son pays d’adoption depuis 1994 - en explorant les réseaux sociaux qui donnent à coup sûr des clés de lecture et de compréhension aux nouvelles études iraniennes. En sociologue et spécialiste de géopolitique, elle s’interroge sur ses capacités à accéder à une vérité sociale et factuelle sur cet objet complexe et ambivalent qu’est le peuple iranien d’aujourd’hui. Tentant de déjouer les ruses et les pièges des cyberguerres, de la propagande et des censures numériques, elle avance prudemment vers les lointains échos de ce peuple dit bâillonné, en se frayant un chemin raisonné et scientifique, entre connaissance intime des enjeux, engagement personnel et neutralité axiologique.
Montesquieu revisité
Convoquant l’histoire de cette culture ancestrale revendiquée par le peuple iranien, la question de Montesquieu - « Comment peut-on être persan ? » - posait déjà la problématique de la relation à une altérité perçue comme indépassable. En novembre 2019, la coupure d’Internet, au plus fort de la dernière crise politique et sociale, devient symptomatique de l’aveuglement d’un régime dictatorial, de moins en moins républicain et de plus en plus totalitaire. On parle de 1 500 manifestants pacifiques tués en trois jours. Depuis la révolution islamique, jamais le peuple iranien n’a été autant réduit au silence. Mahnaz Shirali se forge une vision de l’Iran à partir d’hypothèses souvent provoquées par des expériences vécues, qu’elle confronte à ce que les données de la jeunesse iranienne connectée laissent comme traces et positions sur les médias sociaux persans. Le panorama des oppositions au pouvoir, qu’elle dresse à partir de ces données, corrobore l’idée d’une impuissance du peuple, complice de ses bourreaux, à se réinventer au-delà d’un régime islamique shiite qui court à sa perte, mais ne laissera sans doute que très peu en héritage à ses successeurs pour reconstruire « civilisationnellement », le pays de l’Islam shiite. Il faut l’admettre : le tableau peint par Mahnaz Shirali au sujet de l’avenir de l’Iran est pessimiste.
Un régime des mollahs en terre patriarcale
L’une des thèses de Mahnaz Shirali se fonde sur les survivances du patriarcat dans l’identité iranienne contemporaine. Elle repose sur des constats en contradiction avec une certaine représentation médiatique de l’accès des femmes iraniennes aux études supérieures et à des postes à responsabilité, observations parfois mises en contraste avec le manque de liberté des femmes saoudiennes notamment. Le peuple iranien serait complice de ses bourreaux au sens où rares seraient les voix qui s’élèvent contre le patriarcat culturel et social que le régime revendique. La société iranienne dans sa globalité - jusque dans les mouvements d’opposition au régime - serait favorable à ces différentes formes de soumission des femmes réputées inconstantes à l’autorité des hommes considérés comme rationnels. Pour installer leur pouvoir, les ayatollahs se seraient ainsi appuyés sur les principes désuets d’une culture patriarcale ancestrale. Cette analyse de la condition féminine en Iran mérite néanmoins d’être nuancée. En s’organisant comme une force d’opposition, les féministes iraniennes constituent l’un des mouvements d’opposition au régime. La difficulté que l’on ressent à la lecture de ces pages provient d’effets de généralisation et d’hyperbole qui laissent poindre une impression d’exagération. Comment prendre à leur juste valeur la réalité des phénomènes sociaux sous observation par le filtre des réseaux sociaux ? Indéniablement, le régime gagne à entretenir cette incertitude sur les unités de mesure pertinentes. Pour autant, comme la sociologue l’écrit elle-même, « les réseaux sociaux ne permettent pas de quantifier les phénomènes observés, mais ils révèlent leur existence et soulignent leur importance. »
« Tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime »
Montesquieu est cité. L’auteur des Lettres persanes éclaire le propos de Mahnaz Shirali d’un jour nouveau. Par ces mots, il permet de dépasser les limites de cette approche quantitative en permettant de souligner l’état d’incurie auquel les dirigeants de la république islamique ont poussé le pays. Depuis la publication de ce livre, force est de constater que les faits ont donné raison aux analyses de la chercheuse. Le record d’abstention des dernières élections présidentielles témoigne de cette incapacité du peuple à se faire entendre selon des modalités démocratiques et de l’incapacité des groupes d’opposition à constituer une alternative aux ayatollahs au pouvoir. Plongeant le pays dans la plus grande certitude politique et religieuse, les mollahs donnent l’impression d’avoir vendu l’Iran aux intérêts chinois et russes. L’essai peut donc aussi se lire comme un accès à une société fermée et repliée sur elle-même, mais aussi comme un système politique complexe porteur d’enseignements sur la place des médias sociaux dans le devenir politique d’une société paradoxalement « connectée » et « mondialisée » au XXIe siècle.
Collection : Docs et Essais
Format : 140 x 205 mm
300 pages - 20 €
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Galerie photos
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