Le couple témoin
Le 26 mars 2025
Un tour de passe-passe prodigieusement stimulant, posant avec acuité la question du couple.


- Réalisateur : Brice Cauvin
- Acteurs : Anouk Aimée, Hélène Fillières, Laurent Lucas, Julie Gayet, Sabine Haudepin
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pierre Grise Distribution
- Durée : 1h34mn
- Date de sortie : 19 avril 2006
- Festival : Festival de Berlin 2006

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Résumé : Philippe et Marion ont la trentaine. Ils doivent partir pour Venise mais au dernier moment n’en ont plus envie. Ils décident pourtant de dire autour d’eux qu’ils y sont allés, comme un jeu. Jusqu’à ce que, quelques semaines plus tard, Marion puis Philippe reçoivent, chacun de leur côté, des photos de voyage, à Venise bien sûr. La réalité prend alors une tournure un peu floue, tout comme leur histoire d’amour, leur vie de famille et leur occupation professionnelle.
Critique : Le couple, organisme instable à l’équilibre toujours précaire, est au centre de ce singulier film, tour à tour drôle puis réflexif, mental, toujours attachant. Pour son premier long métrage, Brice Cauvin opère déjà en jongleur confirmé, alternant les genres jusqu’à obtenir un objet filmique insaisissable, mais cohérent. Un sens du glissement narratif qui, sans aller jusqu’à l’abstraction, insuffle à De particulier à particulier une vitalité toute... particulière.
Déployant une verve fantaisiste qui évoque le meilleur de la comédie d’auteur française (Sophie Fillières, Danièle Dubroux), le film procède par cercles concentriques avec, au cœur du fragile édifice, un formidable duo d’acteurs. Si Brice Cauvin s’amuse à manier les clichés (photographiques, mentaux), il ne les emploie pas. Ses personnages ont cette ambiguïté, cette part de mystère qui fait si souvent défaut au cinéma, par trop préoccupé par le souci chimérique d’une quelconque cohérence des motivations. La qualité d’un scénario se juge souvent à ses personnages secondaires, comme ce jeune juif évanescent qui se dévoile dans un touchant tour de chant lyrique (décidement, après El cantor), où bien cette mère (magnifique Anouk Aimée) à la touchante manie d’une chanson de Barbara [1].
Le réalisateur n’hésitera pas, assez courageusement d’ailleurs, à briser cette confortable mécanique cinématographique au fur et à mesure que la confusion mentale des personnages se fait plus évidente. Après le rire, le silence, majestueux. Celui du quotidien qui s’émiette, château de carte sous le poids de micro-événements. Un moyen d’emprunter les sentiers, toujours sinueux, d’un cinéma de l’éclatement identitaire qui, de Lynch à Haneke, ne cesse de répandre ses effluves anxiogènes sur le paysage contemporain. Contrairement à ses froids (et pessimistes) confrères, il ne s’agit pas pour Cauvin de dénoncer la vacuité ou l’hypocrisie du quotidien, mais de dresser le portrait d’une vie de couple en pleine évolution, en pleine mutation. Le mot est lâché : De particulier à particulier est un film mutant, qui revendique avec souveraineté l’acceptation du changement.
[1] Drouot, hymne à l’âme des objets inanimés