The end has no end
Le 13 mai 2020
Zviaguintsev revient avec une tragédie sociale et politique tout en maîtrise, mais plombée en partie par sa monomanie et son refus obsessionnel du dénouement.
- Réalisateur : Andreï Zviaguintsev
- Acteurs : Maryana Spivak, Alexey Rozin
- Genre : Drame
- Nationalité : Russe
- Distributeur : Pyramide Distribution
- Durée : 2h08mn
- Date télé : 13 mai 2020 20:50
- Chaîne : Arte
- Titre original : Nelyubov
- Date de sortie : 20 septembre 2017
- Festival : Festival de Cannes 2017
L'a vu
Veut le voir
Film présenté en compétition du Festival de Cannes 2017
Résumé : Boris et Zhenya sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Zhenya fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser... Aucun des deux ne semble avoir d’intérêt pour Aliocha, leur fils de douze ans. Jusqu’à ce qu’il disparaisse.
Critique : Si Léviathan s’en prenait déjà au pouvoir politique autant qu’au peuple russe, Faute d’amour poursuit la diatribe sans aucune compassion. Ici, la société russe - malade, aliénée - et ses archétypes éculés font office de principe fondateur. Symptôme de cette altération, le destin d’Aliocha, enfant mal aimé et délaissé, traduit l’absence de sentiments et d’amour qui semble avoir corrompu le pays.
- Copyright Pyramide Distribution
Après avoir cadré une cour d’école déserte, son fronton triste arborant le drapeau russe, et ses élèves surgissant du néant, la caméra de Zviaguintsev suit un enfant sur le chemin du retour, Aliocha. L’occasion de traverser avec lui un bois, frontière ou dernier bastion d’une nature presque intacte, à travers un déluge sur-signifiant de mouvements d’appareil. Un plan d’ensemble - inspiré notamment des "Chasseurs dans la neige" de Pieter Brueghel - dévoilant cet espace vierge cerné par l’industrialisation et les immeubles d’habitation renforce cette dynamique de fracture, tout en préparant la trouée du récit à venir. Car Aliocha sert à révéler un territoire oublié et à résorber une fracture, lui qui ramasse à côté des arbres couchés et mourants un ruban symbolisant une barrière, qu’il lance en l’air.
- Copyright Pyramide Distribution
Cette allégorie posée, le film de Zviaguintsev développe d’abord son intrigue autour des parents, un couple de Saint-Pétersbourg entamant une procédure de divorce. Or, le père et la mère ne souhaitent ni l’un ni l’autre avoir la garde de leur fils Aliocha. Le récit s’attarde alors sur leur quotidien respectif, d’un côté avec le mari, un commercial tiraillé entre son emploi dans une société traditionaliste n’engageant que des salariés mariés et avec enfants, et sa nouvelle compagne enceinte ; de l’autre avec l’épouse, partagée entre ses selfies, Facebook, et son amant. Tandis que le scénario installe patiemment le dispositif, la disparition d’Aliocha, qui a entendu ses parents éluder par tous les moyens sa garde, impose ensuite sa logique. Le système en passe dès lors par une recherche minutieuse déléguée à une association spécialisée, après l’échec d’une police impuissante. Au-delà de l’histoire, le procédé pour Zviaguintsev consiste surtout à dresser un portrait sans concession de son pays, avec malheureusement une dimension trop binaire.
La Russie de Faute d’amour est à l’image de ces arbres qu’Andreï Zviaguintsev place ici un peu partout, notamment en amorce et en conclusion : déracinée. Parce que le pays, trop engoncé dans ses vieilles traditions - héritage orthodoxe d’une société qui a trop longtemps cru que la croissance supposait abnégation et fuite des sentiments - et incapable de prendre le virage de la modernité sans finir détraqué par ses attributs (smartphones, réseaux sociaux et nouvelles technologies en tout genre), donne l’impression d’un cadavre putride. L’épisode de la recherche d’Aliocha, avec la piscine abandonnée, ou encore non loin les radars datant de l’ère soviétique, conforte ce regard cynique et pessimiste. Reste que le constat ne serait pas plus enjôleur ou presque s’il était question de représenter la décrépissante Europe - jeu auquel ont déjà largement joué Michael Haneke et Lars von Trier.
- Copyright Pyramide Distribution
En dépit d’une mise en scène assez virtuose, le scénario trop corseté et académique de Zviaguintsev ne réussit pas à masquer une certaine indigence dans le fond. Certes, il y a par moment quelque chose d’assez jouissif lorsque le réalisateur tourne le regard vers ces employés de bureau tous entassés en silence comme des zombies dans l’ascenseur - on pense alors à l’ascenseur social dans La Garçonnière, de Billy Wilder. La sexualité, traitée comme un acte utilitariste et pas plus engageant qu’un selfie, trace aussi d’assez belles lignes de force, non loin des effets nihilistes de Yórgos Lánthimos ou Nadav Lapid. Pour autant, Faute d’amour présente ses enjeux avec tant d’application et de rigueur mathématique qu’il s’avère trop facile d’en découdre les tenants. L’absence d’Aliocha digérée, le film ne trouve en définitive pas plus d’arguments marquants qu’il en avait distillé dès la scène d’ouverture. Le regard doit ainsi finalement composer avec ces arbres morts et gelés, dont le reflet n’est que celui d’une Russie incapable d’accepter ses faiblesses. Tandis que la mère trottine sur son tapis de course, le père place son nouveau-né reclus dans son lit à barreaux. On a connu conclusion plus percutante, de même que Zviaguintsev nettement plus caustique et pénétrant.
- Copyright Pyramide Distribution
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.