L’écume des jours
Le 16 août 2014
Toute l’ambivalence de la poésie de Bukowski. Sale, alcoolisée, parfois grossière, nocturne et géniale à la fois.


- Réalisateur : Bent Hamer
- Acteurs : Matt Dillon, Didier Flamand, Marisa Tomei, Lili Taylor, Adrienne Shelly
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Allemand, Norvégien
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 23 novembre 2005
- Festival : Festival de Cognac 2005

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Un film qui parvient à recréer dans sa lenteur et sa sombre désinvolture toute l’ambivalence de la poésie de Bukowski. Sale, alcoolisée, parfois grossière, nocturne et géniale à la fois.
L’argument : Hank Chinaski travaille comme manœuvre dans des usines ou des entrepôts pour s’offrir le luxe d’une vie qui consiste à boire, parier sur des chevaux, séduire des femmes, et surtout, écrire des histoires que personne ne veut publier.
Notre avis : Hank Chinaski, l’alter ego de Charles Bukowski dans ses romans, est un poète maudit. Le gouffre qui sépare son moi extérieur, ses actes de tous les jours, et son for intérieur, est infini. Un jour livreur gaffeur digne d’un Peter Sellers, le lendemain flambeur sur les champs hippiques, le suivant clochard viré de l’ANPE locale, il est paumé, désagréable et lunatique. Mais il est aussi lunaire, silencieux, portant un regard désabusé, qu’on ne sait éteint ou réaliste sur le monde qui l’entoure. Mettre en scène ce poète errant, son univers, son incapacité à s’adapter à la société, sans presque jamais expliciter les choses, voilà la force de Factotum.
Pour y arriver, Bent Hamer, réalisateur norvégien, possède deux atouts. La qualité de sa mise en scène d’abord, brute, parfois crue, montrant la misère et la réalité de ses personnages sans fioritures ; comme lors de cette scène ou Hank et sa compagne Jan (Lilly Taylor), au petit matin, déambulent dans la cuisine, filmés sans éclairages, pas maquillés, laids oui, mais magnifiquement humains et réels. Seul risque pris par Hamer, celui d’une voix off, celle de Hank, qui vient briser le silence du héros dans son quotidien. C’est cette voix qui véhicule la poésie accomplie, celle des mots, en des fragments épars des œuvres de Bukowski, lancés lors de scènes clés du film, pour donner vie à la souffrance intérieure de Hank.
C’est le corps dans lequel Hank vient se matérialiser qui est le second et majeur atout de Factotum. Matt Dillon est parfait, barbu, empâté, goujat énorme de classe et alcoolique paumé tour à tour. Il se livre sans retenue dans ce rôle, se déplaçant à l’écran (magnifiquement secondé en tous points, Lilly Taylor en tête), être double, entre l’infinie lenteur de l’échec social et la beauté enivrée de l’inspiration poétique. C’est grâce à lui que Factotum parvient à exprimer sa difficile ambivalence : c’est de la crasse la plus basse, de la poussière des bars, de la misère de la société américaine que naît la poésie torturée de Charles Bukowski.