Express way

Il était une fois un professeur de sampling marseillais du nom de Fred Berthet qui avait deux bons élèves (Arnaud Taillefer et Lionel Corsini). Il décida un jour de monter un projet avec eux. Mais les labels français jugèrent que leur travail manquait de "génie", et ce n’est qu’à Chicago qu’ils trouvèrent un producteur. C’est ainsi que les fauteurs de troubles donnèrent le jour à Doubts and convictions et se firent connaître outre-Atlantique.

Le temps a passé depuis. Aujourd’hui c’est le légendaire label Blue note ("the finest jazz since 1939") qui leur permet de réaliser un projet ambitieux : un album accompagnant un moyen métrage de 52 minutes, philosophique, bourré de références et tourné dans les quartiers délabrés de Marseille. Arnaud, qui a écrit le film, est un grand cinéphile, nostalgique de la blaxploitation et inconditionnel de la musique noire. Il profite de l’occasion pour fusionner ses passions. Fred a préféré l’univers électro et s’est éloigné. Lionel, lui, met à profit la culture musicale qu’il s’est forgée en mixant les week-ends, depuis l’âge de quinze ans. Et lorsqu’on réside chez Blue note, il y a de quoi sampler...

Express way est un album très riche qui ne se révèle pas immédiatement. L’esprit en est profondément marqué par les 70s, et pour sonner juste, les deux compères ont effectué le mixage avec le matériel de l’époque. Au long des seize tableaux qui composent cet album, ils restent fidèles aux racines de la musique afro-américaine : les situations dramatiques appellent des mélopées lancinantes, "If you arrest me, don’t feel so sorry", élevées par la chanteuse soul Sandra N’kéké, ou bien le flot tumultueux de The Gift of Gab, rappeur du collectif Blackalicious. L’atmosphère est étoffée par la flûte tropicale de Magik malik, un Julien Lourau très soft, presque new-yorkais, le violoncelle de Vincent Segal, et la petite touche de bien d’autres encore. Serge Gainsbourg, une autre âme africaine, apparaît également sur God bless you. Quelques éléments électro, voire dub, donnent à l’ensemble un ton résolument moderne. Les dialogues samplés donnent plus de sens à la construction musicale et nous laissent à imaginer des fictions. Les compos, dont Arnaud a élaboré le squelette, sont tantôt rêveuses, tantôt dansantes, souvent mélancoliques, toujours teintées de black music. Et lorsqu’on ferme les yeux, il n’y a pas de doute, mais une conviction : on est au cinéma.