Le 21 novembre 2017
- Dessinateur : Sylvain Savoia
- Genre : Autobiographie, Historique
- Famille : BD Franco-belge
- Editeur : Dupuis
- Festival : Quai des bulles 2017
C’est à Saint-Malo, à l’occasion du festival Quai des Bulles, que nous avons rencontré Sylvain Savoia pour parler de Marzi, la formidable autobiographie d’une enfance polonaise la fin de l’époque communiste, qu’il réalise de concert avec Marzena Sowa. Éditée chez Dupuis depuis 2005 avec une pré-publication dans Spirou, cette bande dessinée est rééditée en format « roman graphique » avec un nouveau découpage et une recolorisation des planches. Paru fin septembre, le troisième tome de cette nouvelle version, appelé Nouveau souffle se situe dans la Pologne post-communiste, alors que Marzi grandit et se lance dans l’apprentissage effréné du français.
Sylvain Savoia nous a accordé un entretien pour évoquer Marzi, récit autobiographique dans la Pologne des années 1980-1990.
Avoir-Alire : Pouvez-vous nous raconter la genèse de Marzi ?
Sylvain Savoia : J’ai commencé ma carrière en réalisant des fictions, puis j’ai eu envie de dessiner des choses plus personnelles. C’est à cette époque que j’ai rencontré Marzena qui ne venait pas du milieu de l’édition ou de la bande dessinée. Elle m’a raconté ses souvenirs d’enfance dans la Pologne communiste des années 1980, en particulier la tradition des carpes de Noël qui m’a beaucoup marqué. Je lui ai demandé de coucher sur papier d’autres histoires, ce qu’elle a fait. En les lisant, je me suis dit qu’il y avait un projet intéressant à monter.
J’ai contacté Dupuis, car je voulais m’adresser aux enfants pour cette histoire. J’avais envie de leur raconter l’histoire d’une enfance qui se déroule dans un contexte un peu difficile, ailleurs en Europe, mais qui a quand même été heureuse. À l’origine, ce projet comportait trois parties : l’enfance, l’adolescence et l’arrivée en France de Marzi. Mais tout ça a pris de l’ampleur…
Quelles recherches graphiques avez-vous opéré pour dessiner Marzi ?
Quand j’ai commencé à dessiner, je n’avais aucun document et aucune photographie de Marzena enfant. Je suis tout tout suite parti avec l’idée que puisque le sujet était réaliste et qu’il traitait de l’enfance, j’allais fonctionner avec un dessin synthétique et allégorique. Je ne souhaitais pas alourdir le propos avec un dessin réaliste.
Très vite, je suis parti en Pologne avec Marzena. Nous sommes allés chez ses parents, à Stalowa Wola. Là-bas, les habitants n’avaient guère changé leurs décorations depuis l’époque du communisme. Ce voyage était formidable, il m’a permis de nourrir mon dessin et d’y rencontrer de nombreux acteurs et actrices de Marzi.
L’une des singularités de Marzi est d’entremêler petite et grande histoire. Est-ce que vous en aviez conscience quand vous vous êtes lancé dans ce projet ?
Non, pas vraiment.. On voulait d’abord raconter la construction de cette petite fille dans une ville symbolique du communisme (NDLR : Stalowa Wola est une ville moyenne industrielle dont le nom signifie littéralement « Volonté d’acier » en Polonais). Nous n’avions pas conscience de l’importance que revêtait l’Histoire en racontant l’histoire de Marzena. C’est au fur et à mesure que l’on s’est rendu compte que l’histoire politique du pays avaient une incidence directe dans la vie quotidienne des gens. Marzi a aussi davantage intégré la politique car plus Marzena grandit, plus elle se pose des questions sur ce qui l’entoure.
Dans le dernier tome de Marzi on aperçoit un paradoxe, à savoir que le communisme est tombé et que les gens sont « libres » mais que concrètement, peu de choses ont réellement changé. Vous souhaitiez aller contre une idée reçue en insistant sur ce thème ?
Oui. La fin du communisme a changé bien des choses sur le long terme, mais au départ, le changement de régime a surtout bousculé la société, et remis en cause l’administration, le gouvernement, etc. Cette période de transition fut difficile pour les Polonais de l’époque. D’ailleurs, aujourd’hui, il y a une nostalgie chez certains, car ils se sentaient davantage protégés à l’époque du communisme.
Couverture de Nouveau souffle, troisième volet de Marzi dans sa version roman graphique - ©Dupuis Savoia/Sowa
L’apprentissage du français semble avoir été un échappatoire pour Marzi. Quelle importance est-ce que le français a eu dans son parcours ?
L’apprentissage du français a été un élément fondateur dans le parcours de Marzena. Il faut savoir que Marzena a une tante éloignée qui vivait en France, et qui est venu rendre visite à sa famille quand elle était enfant. Entendre cette langue étrangère et très chantante fut pour elle quelque chose de magique, d’autant plus que sa tante était très libre dans son comportement. Marzena est entrée au collège au moment de la chute du communisme, et elle a dû choisir une langue étrangère. Contrairement aux années précédentes, les enfants n’étaient pas obligés d’apprendre le russe. Ils pouvaient choisir d’autres langues, dont le Français. C’est ce qu’a fait Marzena, qui s’est ensuite passionnée pour la littérature française. Elle a ensuite terminé ses études en France pour parfaire sa maîtrise de la langue.
Pourquoi proposer une version roman graphique de Marzi ?
C’est une idée de Marzena et moi. Quand on a publié les premiers épisodes de Marzi, le lectorat adulte percevait Marzi comme une série jeunesse. Au départ, nous avons très peu communiqué sur le fait qu’il s’agissait d’une autobiographie. On s’est rendu compte durant les séances de dédicaces qu’il existait sans doute un public lecteur de romans graphiques qui serait intéressé par ce genre d’histoires. J’ai donc proposé à Dupuis de publier un recueil avec une nouvelle colorisation.
Ces nouveaux albums se sont encore mieux vendus que les albums classiques. Cette publication nous a donné beaucoup plus de visibilité notamment au niveau de la presse. Cela nous a aussi ouvert le marché étranger, car le grand format couleur est difficile à vendre en dehors de l’espace franco-belge.
Qui s’est occupé du remontage des planches et de la nouvelle colorisation ?
Je me suis occupé de la colorisation. Il a fallu intervenir sur toutes les couleurs. J’ai également procédé à un nouveau découpage, et j’ai réalisé de nouveaux dessins de fin de chapitre. Nous en avons profité pour ajouter des inédits, des dossiers et quelques clins d’œil d’autres auteurs au personnage de Marzi.
Comment a été reçue l’œuvre en Pologne ?
Marzi est un vrai succès en Pologne, même si tous les épisodes n’ont pas encore été traduits. Marzi s’adresse à un public différents des lecteurs habituels de bande dessinée, qui sont en général des jeunes hommes qui s’intéressent essentiellement au genre fantastique. Au moment de sa publication, il s’agissait de la première BD à parler du quotidien sous le communisme : nos histoires ont intéressé beaucoup de Polonais qui ont vécu à cette époque, et des jeunes couples qui souhaitaient transmettre l’histoire de cette période à leurs enfants. En Pologne, quand nous étions en dédicace, beaucoup de femmes sont allées voir Marzena pour lui dire que c’était leur histoire qui avait racontée ! La série est traduite dans une dizaine de langues à présent.
Que pensez-vous de ce qui passe en Pologne actuellement ?
C’est un triste retournement de l’Histoire. Il y a comme un mouvement de balancier : on assiste à un retour au premier plan de l’Église et à une limitation des libertés.
Couverture des Esclaves oubliés de Tromelin (Dupuis, 2015), qui raconte l’abandon et la survie d’esclaves noirs abandonnés sur une île déserte après que leur navire se soit échoué, à la fin du XVIIIe siècle
Avec Henri Cartier Bresson et Les esclaves oubliés de Tromelin, vous vous intéressez beaucoup à l’Histoire dans vos dernières œuvres res. Est-ce par goût de l’Histoire, ou bien parce que vous trouvez dans ce genre une source d’inspiration ?
J’ai dessiné de la fiction pendant des années en réalisant un western, de la science-fiction, du policier (NDLR : Sylvain Savoia a notamment dessiné Nomad et Al’Togo sur un scénario de Jean-David Morvan)… Ces histoires me semblaient parfois manichéennes, tandis que j’ai trouvé dans Marzi un réservoir très riche, avec des personnages secondaires qui ont une vraie profondeur puisqu’ils sont vivants. Dessiner Marzi m’a sorti de l’univers essentiellement BD : avec Marzena, nous avons beaucoup voyagé grâce à ces traductions et échangé avec des gens passionnés d’histoire, de politique, etc…
Tous les aspects de l’Histoire m’intéressaient dans Les esclaves oubliés de Tromelin. Il s’agit d’un drame humain qui a vraiment eu lieu, mais aussi d’une affaire qui touche notre mémoire contemporaine. C’était aussi une formidable occasion d’aller enquêter sur place avec des archéologues. Dans Henri Cartier Bresson, j’ai dû avoir une nouvelle approche en travaillant avec l’agence Magnum et la fondation Cartier Bresson. Le photographe a laissé des consignes très strictes sur l’utilisation de ses images, qui m’empêchaient notamment de reprendre les photos telles quelles dans mes dessins. J’ai dû m’adapter.
Avez-vous d’autres projets en dehors de Marzi ?
J’ai de nombreux projets. Je suis actuellement en train de travailler sur douze petits albums pour enfants qui feront quarante pages pour une collection qui s’appellera le « Fil de l’Histoire ». Il s’agit d’albums liés aux programmes d’Histoire qui recontextualiseront les événements de manière ludique.
Par ailleurs nous continuons à travailler sur un gros one shot Marzena et moi, ainsi que sur la suite de Marzi.
Galerie photos
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