Le 29 mai 2024
- Réalisateur : Karim Dridi
- Distributeur : New Story
Notre collaboratrice Nadia Meflah a interviewé le réalisateur Karim Dridi à l’occasion de la sortie de son dernier film Fainéant.es.
Le film : Noué dans l’amour, le tutoiement est un acte politique. C’est cette fraternité, existentielle, qui fait que le monde résiste. Toute fracture, toute attaque à cette ontologie du rapport humain, et le monde vacille. Qu’est-ce que le cinéma de Karim Dridi si ce n’est, de fait, le récit de ce tutoiement fraternel ? Toi qui n’es que moi. Moi qui ne dois que te reconnaître pour mieux vivre le monde.
Farouche, poétique, furieusement tendre, d’un romanesque renversant, dans la lignée des cinéastes tels Frank Borzage (Lucky Star), Akira Kurosawa (Dersou Ouzala) ou plus récemment Aki Kaurismäki (Les feuilles mortes), Fainéant.e.s de Karim Dridi nous saisit au cœur. Quel malicieux titre ! Un boomerang linguistique et salutaire, face à la persistance de la violence meurtrière et systémique que nos sociétés libérales fascisantes. Mais justement, plus encore, le cinéma (et non le visuel), depuis toujours, ne cesse d’œuvrer à réunir ce que le social sépare. Le cinéaste, depuis ses débuts, a saisi cette puissance du cinéma, sa capacité à regarder et enregistrer le monde, cet art de restituer la beauté infinie du monde, qui se niche partout.
Là où le cinéaste nous touche plus que tout, c’est par ce cadeau immense qu’il nous donne à vivre : la restitution du regard. En effet, le dessillement s’opère, afin de lâcher enfin ce qui nous reste de mépris et pollution à l’encontre de cet autre que j’ai appris à ne plus vouloir regarder : clochard, punk, tatoué, mendiant, femme, étranger, jeune, paysan, squatteuse, routarde, libertaire, sans domicile fixe... La liste est longue, infinie et c’est tant mieux !
Nous sentons bien que nous avons toutes et tous à nous revendiquer Fainéant.e.s, car enfin c’est bel et bien de nos libertés qu’il s’agit !
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Entretien
Il me semble que ce film est un tournant…
Un tournant, peut-être, mais je peux dire qu’il y a un avant et un après. Cela fait assez longtemps que je fais des films, de toutes sortes, des documentaires, des films musicaux, certains presque clandestins ; et j’ai même réalisé des films avec des budgets costauds, comme Le dernier vol avec Marion Cotillard et Guillaume Canet. Mais c’est vraiment du passé. Là, je sens bien que j’ai découvert plus qu’un monde, celui qu’on nomme les marginaux. Personnellement, j’ai besoin de me laver plusieurs fois par jour, bon c’est une manie, d’accord mais à l’idée de fréquenter des gens qui vivent avec leurs chiens, ça me semblait tout simplement impossible ! Quelle bêtise en fait, car grâce à Faddo qui m’a présenté quasiment tout le monde présent dans le film, j’ai pu surmonter mes propres préjugés. Je voulais comprendre ce mode de vie alternatif qu’ils avaient choisi, et j’ai pu ainsi me sentir légitime de réaliser un film avec eux, sans le sentiment de trahir qui que ce soit. J’ai aussi appris à filmer différemment, dans une durée et une économie qui m’a donné bien plus que ce qui se fait classiquement. La préparation du film fut vraiment longue, presque six années, de l’écriture au tournage (quarante-cinq jours étalés sur dix-huit mois) et à la post-production.
Emma Soisson est la coscénariste et productrice du film. Ma compagne et la mère de nos deux enfants. Tous ensemble, nous avons parcouru la France, on bougeait pas mal, nous vivions en camping. C’était important car on a pu aller dans des endroits éloignés de nous, et surtout de faire des rencontres uniques. Quarante-cinq jours de tournage ce n’est pas rien, surtout dans les conditions économiques dans lesquelles nous nous sommes retrouvés. Sans la fidélité et l’engagement entier de l’équipe, ce film n’existerait pas.
Pourquoi as-tu été si saisi par ta rencontre avec la comédienne Faddo Jullian ?
Elle m’a ouvert les portes, et pour ça on peut dire que c’est un tournant comme tu l’évoquais. Ma rencontre avec Faddo date d’il y a plus de dix ans, cela s’est passé dans le cadre d’un atelier de formation pour les comédiens. Même si j’ai l’habitude des actrices et des acteurs, j’ai trouvé chez elle quelque chose que je n’avais pas encore vu. Une force et une présence uniques. Et puis elle venait d’un milieu que je ne connaissais pas du tout. Faire du cinéma ne l’intéressait pas vraiment, elle ne voulait pas jouer, loin de là. C’est par elle que j’ai son amie .jU. qui interprète le rôle de Djoul, comme pas mal de personnes qui sont dans le film, ceux qu’on n’aime pas voir, les Punks. Et là, qu’est-ce que je découvre alors ! Que ce sont des personnes bien plus politisées qu’on ne l’imagine, à l’avant poste sur pratiquement tout, des écolos du quotidien qui recyclent tout et ne produisent quasiment rien comme déchets, et depuis bien longtemps. Des vrais libertaires.
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Pour la première fois dans ton cinéma, nous sommes au cœur du féminin.
C’est vrai que j’avais l’habitude de rester du côté du masculin, je dirais dans ma zone de confort. Et je ne remercierai jamais assez Emma Soisson de m’avoir bousculé, m’évitant ainsi de devenir un vieux con. Elle m’a ouvert les yeux sur le fait de prendre en compte toutes les réalités des changement en cours à ce sujet, de comprendre ce qui se joue avec tout ce qui est lié aux personnes et à leur désir d’être respectées, ça donne ce choix du titre. La scène où Nina fait l’amour dans le camion a toujours été très difficile pour moi, ce n’est pas évident de filmer l’intimité. Et je n’avais jamais vraiment fait ça. Et bon sur le plateau, des soucis techniques font que l’on se retrouve sans lumière, vraiment sans rien. Je fais comment ? Le réel a décidé pour moi, c’est avec la lumière d’un portable que j’ai réussi à filmer cette scène, en éclairant son visage.
Quel extraordinaire titre, comment l’as-tu trouvé ?
C’est grâce à Emma Soisson que ce titre existe tel quel.
L’affiche, comme le film est de toute beauté.
Il faut savoir que j’ai travaillé avec trois chefs opérateurs, Aurélien Py, Benjamin Ramalho et Jean-Yves Ricci. C’était un choix artistique de production de procéder ainsi car je tenais absolument à filmer dans la continuité des saisons. Et le film a été tourné en format Scope, bon c’est bien évidemment le road movie mais surtout ce sont deux femmes ensemble, très proches et elles ont déterminé le choix du format.
Propos recueillis par Nadia Meflah
Galerie photos
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