Le 3 août 2024
Dans le style inimitable et si personnel qu’on lui connaît, Kaurismäki dresse le portrait caustique, tendre et bourré d’humour, des classes populaires en Finlande, dans un contexte d’inflation et de guerre d’Ukraine. Un très joli moment de cinéma.
- Réalisateur : Aki Kaurismäki
- Acteurs : Janne Hyytiäinen, Jussi Vatanen, Sakari Kuosmanen, Alma Pöysti, Alina Tomnikov
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Finlandais
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Editeur vidéo : Diaphana Édition Vidéo
- Durée : 1h21mn
- Date télé : 9 septembre 2024 22:47
- Chaîne : Canal+ Cinéma
- Titre original : Kuolleet lehdet
- Date de sortie : 20 septembre 2023
- Festival : Festival de Cannes 2023, Festival de Deauville 2023
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Résumé : Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacune tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Leur chemin vers ce but louable est obscurci par l’alcoolisme de l’homme, la perte d’un numéro de téléphone, l’ignorance de leur nom et de leurs adresses réciproques. La vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.
Critique : Aki Kaurismäki est un réalisateur de cinéma identifiable dès la première séquence. Les décors sont sobres, la mise en scène est dépouillée, et il se dégage des personnages et des situations une poésie du quotidien, emprunte de délicatesse et de cruauté à la fois. Le fameux cinéaste finlandais s’engage sur des sujets qui lui sont très personnels, à commencer par l’alcool. L’un des deux personnages qui occupe la scène principale évoque une sorte de mélancolie, jusqu’à peu à peu s’avouer alcoolique. Les Feuilles mortes est peut-être le long-métrage le plus intime, le plus personnel du réalisateur finlandais. Il inscrit son récit dans l’actualité de la guerre en Ukraine, une inflation galopante et une crise économique majeure. Il est impensable de ne pas faire le lien entre l’addiction du héros et celle du réalisateur.
- © 2023 Malla Hukkanen/Sputnik. Tous droits réservés.
Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu sur les écrans. Aki Kaurismäki n’a pas perdu un gramme de sa sensibilité, de son humour acide et de son amour incommensurable pour les gens de peu. Les Feuilles mortes est tout sauf le film bling-bling qui bénéficie de tous les honneurs sur les écrans français. Le réalisateur s’intéresse aux ouvriers et employés, ceux qui gagnent difficilement leur vie, peinent à payer leurs factures d’électricité ou leur loyer et se fatiguent dans des boulots ingrats et déconsidérés. Mais le propos du cinéaste n’est ni social, ni misérabiliste. Sa lecture est d’abord poétique et littéraire. Le réalisateur affectionne des scènes où la tendresse des personnages s’accorde miraculeusement avec la cruauté de la vie quotidienne. Les rues sont ternes, les visages sont blafards, et la désillusion est partout. Et pourtant, la poésie, l’humour prennent le pas sur ce qui, dans un cinéma purement franchouillard, se serait réduit à un portrait social accablant et désolant.
Kaurismäki aime le cinéma. Tout son film est bourré de références à un cinéma d’hier, devenu universel : Godard, Bresson, Carpenter et d’autres. Ce n’est donc pas un hasard si le démarrage de l’union entre les deux personnages principaux prend naissance dans un cinéma de quartier. lls se rencontrent autour d’un verre certes, mais l’amour prend forme autour d’un film de cinéma. En quelque sorte, Les Feuilles mortes synthétise la compétence du cinéma à fabriquer de la poésie à partir de la désolation sociale des classes populaires et laborieuses. Ce film est peut-être la réunion de tout le cinéma de Kaurismäki : la beauté et la tristesse du quotidien transcendées par le rire et la poésie.
- © 2023 Sputnik. Tous droits réservés.
Voilà un film qui ne paye pas de mine et pourtant fait la démonstration d’une extrême intelligence dans l’écriture. Le cinéaste sait manier les décors, il sait où positionner sa caméra sans abuser des illusions du montage. Kaurismäki va à l’essentiel : des champs-contrechamps, des plans fixes, et des dialogues qui deviennent la matière essentielle du cinéma. Le réalisateur renoue subtilement avec son projet de vie, celui de devenir écrivain. Les comédiens bénéficient d’un espace d’interprétation très important. Ils renoncent à la théâtralité, à l’emphase pour un jeu dépouillé, d’une grande dignité en faveur des personnages qu’ils incarnent.
Les Feuilles mortes s’annonce comme un des films les plus importants de la sélection cannoise de 2023. Peut-être même que Kaurismäki signe une œuvre testamentaire où il retient de sa magnifique carrière de créateur que l’essentiel de la vie se niche dans la poésie et l’humilité.
Le test DVD
Image :
L’image ne décevra pas le spectateur, loin s’en faut. En effet, l’éclairage et la photographie s’accordent à merveille à cette romance nimbée de mélancolie.
Son :
Le son est plus que bon et les airs finnois ponctuant le récit lui donnent son cachet si particulier. Notons que seule la version originale sous-titrée est proposée.
Compléments :
Un entretien avec Marcos Uzal, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma. Il souligne la grande cohérence filmographique du réalisateur Kaurismäki et revient brièvement sur ses deux précédentes trilogies. Tous ses personnages sont des prolétaires et des perdants. Là, on retrouve un ouvrier qui va perdre son emploi tout comme la femme du film. L’anachronisme transparaît dans tous les films du réalisateur. Par exemple dans Les feuilles mortes, l’ordinateur n’apparaît qu’une fois et dans une logique mercantile. Le numéro de téléphone est donné sur un bout de papier et non via la contemporanéité d’un portable. Si la guerre en Ukraine est évoquée, c’est via la radio exclusivement. Kaurismäki est également un formaliste. Ce film semble représenter un cinéma qui ne se fait plus. C’est à la fois un mélodrame et une comédie burlesque. Le dernier mot du film est Chaplin (le nom du chien) : une référence évidemment voulue. La présence de la musique est très importante encore plus dans ce film que dans tous les autres et résonne comme un écho à ce qui arrive aux personnages. Les affiches sur le cinéma méritent d’être évoquées car une d’entre elles est celle d’un film de Jim Jarmusch (un ami de longue date de Kaurismäki).
Le reste se résume à la bande-annonce et aux crédits.
– Festival de Cannes 2023 : Sélection officielle, en compétition
– Cannes 2023 : Prix du Jury, Prix des Cinémas Art et Essai
– Sortie DVD/Blu-ray : 6 février 2024
Galerie Photos
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