C’est une jolie mélodie qui revient, drôle, tendre ou mélancolique selon l’inspiration de son auteur mais toujours aussi juste. Après avoir narré dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules et La Sieste assassinée ces fragiles minutes de bonheur qui donnent tant de saveur au quotidien comme le goût des pommes ou l’écossage des petits pois, Philippe Delerm pose de nouveau son regard, dans un nouveau recueil de textes courts, sur ces gestes fugaces que tout un chacun a pu à un moment ou à un autre vivre ou observer. Mais la petite musique de ces Enregistrements pirates est cette fois-ci bien plus acérée quand elle n’est pas parfois cruelle.

Philippe Delerm met en scène en quelques pages des petites scènes banales et des expressions recueillies à la volée dans des lieux aussi ordinaires qu’un café, une rame de métro ou lors d’une réunion de famille. Il y a le vieil ivrogne qui hurle au comptoir qu’il "emmerde le toubib", le franchouillard furibard qui juge sans appel qu’il "y a qu’en France qu’on voit ça !", le propriétaire d’un chien qui impose à autrui son molosse menaçant parce que de toute façon "ne vous en faites pas, il est pas méchant". A la haine ou l’agressivité sans raison s’ajoutent les rodomontades de petits-bourgeois sur leurs formidables vacances au bout du monde et la météo forcément clémente, les étalages de tartines de culture des touristes mais aussi la solitude d’une vieille dame ou d’un taggeur désespéré.

Si le ton se fait plus sarcastique, ces instants fugitifs restent saisis à la manière de Delerm, avec finesse et simplicité. On a souvent reproché à l’auteur sa façon d’aguicher le lecteur par des thèmes bien consensuels et ses textes faciles à lire. La musique de Delerm-père est certes plus à sa place dans les bacs variétés et fredonnantes que dans le rayon motets et cantates. Mais l’ambition de l’auteur n’a jamais été d’égaler Proust et consorts, seulement de charmer ses lecteurs avec quelques miniatures joliment ciselées de notre quotidien ordinaire. Objectif atteint.