Le 16 novembre 2015
Un chef-d’œuvre de sensibilité à la richesse inépuisable.
- Réalisateur : Carlos Saura
- Acteurs : Fernando Rey, Geraldine Chaplin, Norman Briski, Isabel Mestres, Joaquin Hinojosa
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Espagnol
- Durée : 2h05mn
- Titre original : Elisa, vida mia
- Date de sortie : 21 avril 1977
- Festival : Festival de Cannes 1977
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Résumé : Luis vit seul dans une vaste demeure depuis qu’il a abandonné sa famille il y a vingt ans. Un jour, sa fille Elisa vient lui rendre visite. Au fil des conversations, Elisa se rapproche de ce père qu’elle avait oublié. Mais la maladie dont Luis est atteint vient assombrir ces retrouvailles.
Critiqu : Il est des films tout entiers contenus dans leur résumé ; d’autres, dont Elisa, mon amour, l’excèdent en une floraison d’interprétations multiples, qui sont autant de pistes sans qu’aucune ne soit privilégiée. C’est qu’à partir d’un schéma simple, voire simpliste (une femme en pleine crise conjugale se rapproche de son père qui va mourir), Saura, qui est à la fois scénariste, dialoguiste, et, bien sûr, réalisateur, construit un monde sensible et cohérent, mais bâti sur une vision du monde personnelle, et, par là-même, universelle.
On pourrait commencer par tirer un fil théorique et voir le film comme une contestation du cinéma classique : un narrateur fluctuant, des séquences de fantasmes, de souvenirs ou d’une histoire alternative mises au même niveau que la « réalité ». C’est la narration elle-même qui est déstabilisée, reflet d’une incertitude face à l’existence. Mais ces procédés divers n’ont rien de froidement abstrait : ils servent à approfondir la complexité humaine ; on pense souvent à Bergman, dans cette étude d’une psyché féminine, mais un Bergman presque dépourvu de cruauté, plus mélancolique et sensible. Tout ici est chuchoté, à un moment hystérique près, et même le long dialogue dans la voiture, d’une dureté extrême, est calme et retenu. Comme dans d’autres de ses films, Saura travaille la mémoire et l’identité. Qui sommes-nous ? Somme-nous réductibles à une masse de souvenirs et d’affects ? Que prenons-nous aux autres ? À ces questions, évidemment, Elisa, mon amour ne répond pas, mais, en une subtile interrogation, il nous met face à nous-mêmes et à des sentiments aussi universels que le deuil, la souffrance de la séparation. On connaît peu de séquences aussi émouvantes dans leur nudité que celle de la découverte du père mort ; on connaît peu de séquences aussi explicites que celle dans laquelle Elisa retire un masque tout aussi réel que symbolique. Quant aux dialogues, qui mêlent citations poétiques et théâtrales et répliques du quotidien, ils disent sans insister la complexité qui nous fonde : là encore, quoi de plus banal que cette toute petite phrase : « La vie, ça use ». Mais il faut un sacré sens du cinéma, du dialogue et du rythme pour qu’elle paraisse nécessaire et émouvante.
Pour porter ces personnages complexes, Saura a fait appel à sa muse, Geraldine Chaplin, et à l’immense Fernando Rey, habitué de Buñuel. Et c’est peu dire qu’ils habitent leur rôle ; elle, passant de l’amusement enfantin à la femme indécise, jouant le rôle de la mère de manière immédiatement convaincante ; lui, impérial, suggérant d’une pause un égoïsme masqué, soliloquant avec un naturel confondant. Rien pour autant qui évoque les « performances » à Oscars : on est dans la sensibilité la plus nuancée, même si Rey obtint le prix d’interprétation à Cannes, et on ne peut que rendre hommage à la clairvoyance du jury.
On n’en finirait pas d’énumérer les beautés de ce film qui réussit à rester simple et lisible, malgré une extraordinaire complexité souterraine. L’émotion surgit souvent de manière inattendue, comme dans ce regard d’Elisa enfant qui « voit » Elisa adulte, sans cesse soutenue par une utilisation subtile de la musique, diégétique ou extra diégétique. Discrètement, Saura instille des éléments fantastiques qui sont autant de projections ou d’annonces et enrichissent encore en densifiant une histoire qui, paraît-il, est construite à partir d’éléments personnels. Nul besoin cependant de les connaître pour se sentir infiniment touché, au plus profond de soi, par ce chef-d’œuvre intensément humain.
– Prix d’interprétation, Cannes 1977, pour Fernando Rey
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