Notre avis : Les Amérindiens sont à la fois au centre et en périphérie de ce roman, construit autour d’eux sans vraiment les nommer, les situer, les identifier clairement. Si au départ il semble qu’ils ne sont qu’un prétexte, le lecteur réalise finalement que l’auteure s’intéresse à leur sort, sous couvert de raconter une histoire. Et quelle conteuse que Monica Sabolo ! Son écriture est imagée, sa plume acérée et très poétique. Son héroïne-narratrice, Nita, est une jeune fille de la réserve à la fois nostalgique et pleine de volonté, farouche, son côté vindicatif et sauvage la poussant à flirter dangereusement avec le danger. Nita se sent attirée par cette forêt pleine de secrets où son père a disparu, avalé par les arbres, attirée par les légendes et les esprits auxquels, pourtant, elle ne croit pas. Pour oublier cette attraction et ce halo étrange qui plane autour des bois, elle préfère passer son temps au Hollywood, un bar envahi par les rires gras des hommes de l’exploitation forestière. Ce ne sont pas ces rustres qui intéressent Nita, davantage les serveuses aux yeux de biche, aussi indomptables qu’elle, mais osant sans doute davantage. Puis, un événement fait chavirer l’histoire, en est à la fois la raison, le commencement et le point de bascule. Lucy, la voisine blanche de Nita, frêle et jolie, sibylline, est agressée et c’est alors que la machine se met en branle.

La forêt est un personnage à part entière de ce roman, c’en est même le protagoniste. Cette fable écologique est camouflée sous un récit prenant, écrit d’une main de maître, mêlant suspense, poésie, amour et aventure, mots d’esprits, symboles et images. Nita se transforme en une sorte de Princesse Mononoké déterminée, pénétrant finalement les arcanes de cette forêt, devenant sa protectrice, l’âme qui rôde et préserve. Cette adolescente nous touche, elle représente à elle seule la détresse de ces minorités, qui tentent de composer avec les politiques anti-environnementales, le rejet, la stigmatisation, la violence.
Eden est un magnifique roman, plein de finesse et nimbé d’une aura de mystère, aura semblable à la pénombre de jade, qui semble se dégager des arbres lorsque la forêt nous avale, nous isolant du soleil en filtrant ses rayons, pour transformer leur doré en un émeraude inhérent à son royaume.