Jia, acteur et témoin
Le 19 février 2012
Les écrits de Jia sont partie intégrante de la démarche du cinéaste et permettent non seulement d’entrer dans le processus créateur mais aussi de mieux saisir la portée politique et universelle de cette oeuvre, une des plus essentielles du cinéma contemporain. Capricci en publie une traduction française qu’on lira avec le plus vif intérêt.
- Réalisateur : Jia Zhangke
- Genre : Cinéma
- Plus d'informations : http://www.capricci.fr/editions.php...
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En libraire le 24 février 2012
Les écrits de Jia sont partie intégrante de la démarche du cinéaste et permettent non seulement d’entrer dans le processus créateur mais aussi de mieux saisir la portée politique et universelle de cette oeuvre, une des plus essentielles du cinéma contemporain. Capricci en publie une traduction française qu’on lira avec le plus vif intérêt.
L’argument : Paru en Chine en 2009, ce volume recueille un large ensemble de textes : notes de travail, réflexions sur le rôle de l’alcool, du piratage, du voyage… ; échanges avec des journalistes, des artistes, les cinéastes Hou Hsiao-hsien et Tsai Ming-liang… ; interventions, volontiers polémiques, traitant de cinéma et de politique à l’échelle chinoise et internationale.
Dits et écrits d’un cinéaste chinois offre un témoignage unique, à la première personne, sur la construction d’une œuvre centrale de notre temps, ainsi que sur celle d’une voix éthique et esthétique.
Notre avis : Souriant, tranquille, presque réservé, Jia Zhang-Ke, ou Zhang-Ke Jia si on veut, selon l’usage occidental, mettre le prénom (Zhang-ke) avant le patronyme (Jia), n’est pas du genre à élever la voix pour galvaniser les foules ni à prendre la pose du meneur révolutionnaire. Mais par son oeuvre, immense, et par sa simple présence, incontournable, il s’est retrouvé tout naturellement dans la position d’un chef de file, celui d’une génération de cinéastes en marge du système officiel qui ont fait souffler un vent nouveau dans le cinéma chinois et mondial.
Les films de ces indépendants, et plus que tous les autres ceux de Jia, témoignent avec justesse et acuité de l’évolution du pays le plus peuplé de la planète, celui qui se transforme de la manière la plus rapide et la plus spectaculaire, la plus effrayante aussi.
Mais s’il se veut témoin, Jia se veut aussi acteur, et accompagne depuis toujours son activité de cinéaste de la publication d’écrits et de prises de parole en public qu’il a décidé de réunir en volume car, dit-il dans la préface du livre, j’avais envie que mes écrits puissent être lus par une jeune génération de cinéastes, voire la jeune génération tout court.
Le recueil des Pensées de Jia. Notes sur le cinéma 1996-2008, édité en Chine en 2009, rassemble donc des articles, notes de travail, entretiens ou retranscriptions d’interventions publiques et développe, comme le dit encore le cinéaste, les questions que je me pose à moi-même et celles relatives à la place du cinéma en Chine.
- Pensées de Jia - Dits et écrits d’un cinéaste chinois - Editions capricci 2012
C’est le dynamique éditeur capricci, au catalogue éloquent et déjà bien fourni (Schroeter, Monte Hellman), qui publie opportunément une traduction française (par François Dubois et Ping Ehou) de l’ouvrage sous le titre Dits et écrits d’un cinéaste chinois, le jeu de mot entre le nom, Jia, et le mot chinois pour pensée (xiang) s’avérant intraduisible.
Malgré la disparité apparente des textes et les quinze ans qui séparent les plus anciens, contemporains du premier moyen métrage Xiao Shan rentre à la maison (1996)), du plus récent (un entretien au sujet de Histoires du bord de la mer (I wish I knew), postérieur à la parution du livre en Chine, mais qui a été ajouté pour l’édition française) des constantes et des lignes de force se dégagent rapidement à la lecture, jamais fastidieuse, de ces 250 pages passionnantes.
Il y a d’abord l’opposition, sans cesse réaffirmée, au cinéma officiel, celui qui relève à la fois du commerce et de l’institution d’état, les deux se conjurant pour faire barrière au réel et imposer avec arrogance l’hégémonie d’un monde uniformisé et gangréné d’une idéologie qui marie totalitarisme et néo-capitalisme : Les grosses productions sont pleines de bactéries qui détruisent les valeurs sociales ( p. 156, titre d’un entretien publié en janvier 2007, au moment ou le film de Chen Kaige La cité interdite monopolisait les écrans chinois).
Refus aussi de se laisser intimider par l’autorité des anciens, de ceux qui cherchent … à occuper le terrain du malheur..., (Face à leur « souffrance » et à leur « expérience », il ne nous reste qu’à « la fermer »). Refus enfin de la belle image et d’une forme figée (un des articles s’intitule : Je ne poétise pas mon vécu).
Car Jia, cinéaste du présent (un film des années 1920, 1930 existe depuis quatre-vingt ans, mais si vous ne l’avez pas vu, il est nouveau pour vous, p. 119) est un héritier du néo-réalisme et surtout de Bresson (lire les lignes enthousiastes sur Pickpocket p. 63). Il croit au cinéma comme révélateur du réel : Pour moi, juger l’image ne consiste pas à dire si l’éclairage est joli, ou si les mouvements de caméra sont complexes. Le plus important reste de voir si elles donne la sensation du vrai, si elle a le pouvoir de percer les apparences de la réalité (p. 59-60).
C’est dans un texte de 1997 (p. 16) que s’exprime le mieux ce qui ressemble à une profession de foi, l’expérience première qui sert de moteur à toute l’oeuvre : Chaque élément entrant dans notre champ de vision, un léger rayon de soleil, des souffles lourds, éveillaient en nous une émotion authentique. Nous portions attention au monde qui nous entourait.
- Xiao Wu, artisan pickpocket - Jia Zhang-Ke
Cette attention s’attache au détail, au particulier plutôt qu’au général (Plus que jamais je pense qu’un jour est plus long qu’une année, que le monde n’est qu’un recoin, à propos de The world, p. 115) et dépasse la frontière entre fiction et documentaire, genre dont relèvent In public, Dong, Useless mais, dont, préparant le film sur le Barrage des Trois Gorges qui deviendra Still life, Jia dit s’être rendu compte qu’il avait peut-être atteint la limite (p. 149).
Le rôle central de l’improvisation dans le processus de création est rappelé à plusieurs reprises : C’est précisément parce qu’au moment de l’écriture, je n’ai rien laissé au hasard, parce que j’avais des idées précises sur ce que je voulais, que j’ai pu déployer mes antennes lorsque je suis arrivé sur les lieux de tournage, les éprouver dans leur dimension réelle et découvrir certaines choses... (p. 57). C’est cette méthode qui lui a permis de trouver, en intégrant au film les badauds qui ne voulaient pas quitter le champ, la fameuse séquence finale, si forte, de Xiao Wu, artisan pickpocket ou la scène du ventilateur dans Still life (p. 154).
Jia, grâce aux récompenses internationales (notamment le Lion d’Or à Venise en 2006 pour Still life), a fini par obtenir une forme de timide reconnaissance dans son pays (I wish I knew - Hai Shang Chuan qi commandité par l’expo de Shanghaï) mais ses premiers films y sont toujours interdits.
On comprend à la lecture de ces textes à quel point son cinéma est par essence irrécupérable et qu’il reste un franc-tireur, un électron libre qui dérange. Et à quel point il est indispensable, en Chine et ailleurs.
Jia sur aVoir-aLire :
Xiao Wu, artisan pickpocket
Plaisirs inconnus
The world
Still life
24 City
I wish I knew - Hai Shang Chuan qi
biographie
Galerie photos
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