Le soleil en face
Le 29 avril 2024
Le film bressonien qui révéla le cinéaste Jia Zhangke à la fin des années 90. Incontournable !
- Réalisateur : Jia Zhangke
- Acteurs : Hong Wei Wang, Hao Hongjian, Zuo Baitao
- Genre : Drame
- Nationalité : Chinois, Hongkongais
- Durée : 1h50mn
- Titre original : Xiao Wu
- Date de sortie : 13 janvier 1999
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– Année de production : 1997
Résumé : De retour à Fenyang, dans la province du Shanxi, Xiao Wu reprend son activité de voleur à la tire qui lui a déjà valu des démêlés avec la justice quelques années plus tôt et, sans doute, un séjour en prison. Son ancien comparse Xiaoyong s’est reconverti avec succès dans le trafic de cigarettes et il n’invite pas Xiao Xu à son mariage. C’est un nouveau riche respecté par tous et qui veut oublier sa vie passée. Errant dans une ville en pleine transformation dont les vieux quartiers sont peu à peu rasés, Xiao Wu rencontre Mei Mei dans un bar karaoké. Une idylle s’ébauche mais la jeune femme part subitement sans laisser de nouvelles...
Critique : En suivant les pérégrinations de son pickpocket, héritier de celui de Bresson, Jia Zhangke capte, sans faire de distinction entre fiction et documentaire, les profonds bouleversements qui étaient en train d’affecter la société chinoise. Le film qui révéla le cinéaste à la fin des années 1990 installe comme nul autre une attente qu’il comble de surgissements imprévisibles et donne toujours l’impression d’une première fois.
Dans ce deuxième long métrage (après Xiao Shan rentre à la maison), tourné en 1997 dans la ville de Fenyang où il avait grandi, Jia Zhangke parvenait à capter, entre fiction et documentaire, les profonds bouleversements qui étaient en train d’affecter la société chinoise.
On perçoit bien en effet dans le film combien cette société conserve d’un côté certaines structures rigides et en apparence immuables : les lois de la famille (l’épisode du retour au village), l’omniprésence de l’appareil policier (l’officier très paternaliste), la quasi-absence de distinction entre la sphère privée et l’espace public (les hauts parleurs qui diffusent en permanence la radio dans les rues, l’équipe de la télé locale sans cesse en train d’interroger les passants, les arpenteurs qui mesurent la boutique destinée à la destruction et dont l’arrivée ne semble avoir aucune incidence sur la scène qui a commencé sans eux) ; mais vit en même temps une inversion des valeurs telle que ce qui était impensable hier devient la norme du jour au lendemain et qu’un clivage s’opère entre ceux qui s’adaptent (l’ancien complice du héros, Xiaoyong, devenu homme d’affaires à succès et qui oublie d’inviter Xiao Wu à son mariage) et ceux, les artisans attachés à leur mode d’être ancien, qui ne savent pas se fondre dans le nouvel air du temps.
Dans un entretien repris dans Dits et écrits d’un cinéaste chinois, (éditions Capricci 2012) Jia décrit cette révolution (p. 49) : « vente au noir de cigarettes = commerce, ouverture d’un karaoké = secteur du divertissement. Dans un tel monde, un personnage comme Xiaoyong peut à sa manière passer d’un courant à l’autre, comme un poisson dans l’eau, changer sans cesse de statut social. Le voleur, lui n’est jamais qu’un voleur. »
Cet « artisan pickpocket », héritier de celui du film de Bresson dont la découverte provoqua chez Jia un choc révélateur, reste en effet un corps étranger, incapable de trouver sa place dans un environnement dont les repères sont en train de disparaître et qu’il arpente pourtant avec une grâce de danseur. L’extraordinaire concentration détachée de l’acteur non professionnel Wang Hong-wei, qui ne cherche à aucun moment à susciter la sympathie du spectateur, éloigne tout risque de commisération ou de psychologie facile et donne au personnage un côté à la fois désemparé et obstiné qui finit par le rendre très émouvant.
Car le détachement, la distance ne signifient pas ici indifférence ou froideur : l’émotion est là, jamais forcée, mais comme portée par de feintes maladresses, des effractions délibérées aux règles communément en vigueur dans le cinéma « de qualité », en Chine et ailleurs : (« Je commande souvent à la caméra de filmer contre le soleil, afin que le monde humide connaisse un moment de chaleur, même si l’amour ne dure qu’un court laps de temps. » id p. 24).
Mais il y aussi dans ce film un véritable art de la composition musicale et de la progression imperceptible. Jia, laissant une large place à l’improvisation (mais dans un cadre fixé par un travail préparatoire très précis), sait comme personne installer (et combler) une attente en saisissant au vol ce qui passe dans le champ : le cycliste qui avance face à la caméra et que Xiao, sur le trottoir, ne semble pas remarquer mais qu’il rattrape au plan suivant ; la patronne qui surgit avec sa bassine d’eau dans le bar à karaoké, révélant ainsi la présence insoupçonnée d’une cour derrière le rideau. Mais aussi la scène, évidemment plus concertée, où Xiao, le renfermé, « se lâche et ne chante que pour lui, dans les bains publics déserts, lorsqu’il se lave. située pour qu’elle arrive à un point équivalent au nombre d’or par rapport à l’ensemble du film (id p. 57) ».
Xiao Wu, artisan pickpocket n’est fait que de ces surgissements imprévisibles, de ces moments de surprise et de pur émerveillement qui font partager au spectateur l’impression d’une première fois que Jia décrite dans les notes préparatoires du film (Extraits de décisions) : « En contemplant des gens et des choses bien connues, certains après-midis ensoleillés, il arrivait qu’une sensation naisse dans mon corps, qui me donnait l’impression que tout était neuf. (id p. 24) ».
C’est cette impression de découverte permanente, de révélation sensible et sensuelle du monde dans l’instant, qui, depuis maintenant quinze ans, nous rend si précieux, et même indispensable le cinéma de Jia Zhangke.
Lire aussi : Dits et écrits d’un cinéaste chinois
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