Dernier Empereur : Arm s’empare des rênes de la trap

Notre avis : Jamais arrêté dans une musicalité bien définie, Arm se trouve toujours dans la tendance mais pour creuser sa propre direction, qui continue d’offrir de multiples déclinaisons formelles de sa plume unique et atypique. Enrobés par un style très abstrait qui confère toute l’universalité des thématiques abordées, les textes du Rennais puisent dans chaque auditeur afin qu’il y trouve ses propres significations. Musique ouverte à l’interprétation, le rap de Arm se nappe ici d’une trap très polyvalente bien que soit largement privilégiée la mélancolie d’envolées électro, comme sur Ta Main, proposant une des utilisations les plus pertinentes de l’auto-tune que l’on ait pu écouter, pour un morceau poignant qui ne peut laisser indifférent. Mais on ne peut pas réduire l’univers de ce rappeur plutôt obscur à ces morceaux délicats et envoûtants, et dès son titre introductif Roule, c’est une instru apocalyptique qui vient ouvrir les portes du monde si particulier d’Arm, usant d’un sample cauchemardesque du Why So Serious de Zimmer pour gonfler la lourdeur d’un égotrip incroyable. Le MC rennais s’approprie alors les codes de ce style d’écriture pour lui donner une dimension nouvelle bien plus enlevée et moins dans l’excès, pour conformer cet exercice au travail d’ensemble du Dernier Empereur. Quoi qu’il touche, il semblerait qu’Arm ne s’adapte pas tant à des sonorités actuelles, mais plutôt qu’il adapte ces dernières à son univers.

Copyright : Gildas Raffenel

Très porté sur l’auto-tune, Dernier Empereur ne fera certainement pas que des adorateurs parmi les connaisseurs d´Arm et de son ancien groupe Pyskick Lyrikah. Pourtant, si l’overdose n’est jamais loin vers la fin de l’album (le "yeeeaaaah" de La Lumière ne passe vraiment pas), force est de constater que l’appropriation de cet outil musical réserve bien des surprises. Les détracteurs du logiciel continueront de tirer la tronche mais la proposition se hisse aisément comme l’une des plus réussies du rap francophone de ces dernières années. L’auto-tune épouse parfaitement les textes en allant même jusqu’à les magnifier (Ta Main, encore une fois, mais aussi Si) et contribuer à l’atmosphère si complexe de l’album. Loin de la déshumanisation progressive à laquelle on assiste actuellement dans le hip-hop, les influences modernes de Dernier Empereur servent ici de vecteur à l’émotion, et l’emploi de ces instruments informatiques résultent d’une réelle réflexion sur ce qu’ils peuvent apporter émotionnellement et pas seulement musicalement. C’est l’alliage du fond et de la forme, ici indissociables pour un projet insaisissable mais paradoxalement très évocateur et touchant. On avoue ne pas y trouver tout le temps du sens (le contrecoup d’un tel album), mais Dernier Empereur subjugue et bouscule sans aucun doute son auditeur.

Copyright : Gildas Raffenel