Dans le tibia !
Le 29 avril 2012
Ancré dans la réalité sociale d’un quartier populaire de Tôkyô en 1933, le 29ème film d’Ozu déroule une suite de saynètes savoureuses auxquelles une troupe d’acteurs épatants et le style singulier du cinéaste, parvenu déjà à un suprême degré d’accomplissement, donnent un charme et un impact irrésistibles.
- Réalisateur : Yasujirō Ozu
- Acteurs : Chishū Ryū, Den Obinata, Chōko Iida, Takeshi Sakamoto, Nobuko Fushimi, Tomio Aoki (Tokkan Kozō), Reikô Tani
- Genre : Comédie dramatique, Film muet
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h41mn
- Titre original : Dekigokoro
- Plus d'informations : http://www.a2pcinema.com/ozu-san/fi...
- Festival : Les 15 ans de la MCJP
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– Sortie : 7 septembre 1933 (Japon)
Ancré dans la réalité sociale d’un quartier populaire de Tôkyô en 1933, le 29ème film d’Ozu déroule une suite de saynètes savoureuses auxquelles une troupe d’acteurs épatants et le style singulier du cinéaste, parvenu déjà à un suprême degré d’accomplissement, donnent un charme et un impact irrésistibles.
L’argument : A Shitamachi, un quartier populaire de Tokyo, Kihachi Kimura, veuf, élève seul son fils Tomio. Il travaille dans le port avec son ami Jiro. Un soir ils rencontrent une jeune femme, Harue, qui vient d’être licenciée et se retrouve sans domicile. Kihachi demande à sa voisine Otome de l’héberger.
Malgré la différence d’âge, Kihachi, amoureux, rêve d’épouser Harue mais se rend vite compte qu’elle n’a d’yeux que pour le beau Jiro qui de son côté se montre ostensiblement indifférent et même hostile à l’égard de la jeune femme.
Tomio tombe malade après avoir dépensé en friandises l’argent de poche que son père lui a imprudemment donné. Kitachi, qui a toujours vécu au jour le jour, ne peut pas payer les soins. C’est Jiro qui emprunte la somme au barbier et, pour le rembourser, accepte un travail à Hokkaido. Quand Kitachi l’apprend, il essaye de convaincre Jiro de lui céder sa place et, n’arrivant pas à le convaincre, finit par l’assommer.
Alors que le bateau qui emmène les ouvriers vient à peine de quitter le port de Tokyo Kitachi commence à regretter sa décision et saute du pont pour rentrer chez lui.
Notre avis : La superbe séquence d’ouverture du 29ème film de Ozu commence par un travelling parcourant l’assistance d’un spectacle de récitation théâtrale avant de s’articuler, comme en passant et sans les souligner, en une série de mini gags bien croqués (le porte-feuille vide qui passe de main en main, plusieurs fois ramassé subrepticement puis jeté ; les gens qui se grattent et se lèvent l’un après l’autre, assaillis par les poux, déclenchant une perturbation qui manque d’interrompre le spectacle).
- Tomio Aoki (Tomio) et Takeshi Sakamoto (Kihachi) dans Dekigokoro (Ozu 1933)
Cette introduction donne d’emblée le ton, vif et enjoué mais certainement pas mièvre, d’une comédie sentimentale et familiale ancrée dans une réalité sociale précise, celle d’un quartier populaire de Tokyo où on vit au jour le jour et où la moindre dépense exceptionnelle (des frais médicaux par exemple) réclame de lourds sacrifices ou des trésors d’ingéniosité. Un univers rude mais solidaire, où les quolibets fusent souvent (Où ont lieu les funérailles ? demandent les voisins au héros qui s’est fait beau pour faire la cour à sa protégée) mais où on ne laisse pas tomber celui qui est dans le besoin.
Pour faire vivre ce monde (et de quelle éblouissante manière !) le cinéaste s’appuie sur un scénario de Tadao Ikeda (d’après une idée d’un certain James Maki, pseudonyme plusieurs fois utilisé par Ozu) qui entremêle habilement deux motifs principaux (la rivalité amoureuse entre les deux amis et les rapports entre le père et le fils) en une suite de savoureuses saynètes le plus souvent très drôles (le réveil à coups de batte dans le tibia ; la plante massacrée par le fils en colère). Le mélodrame pointe pourtant le nez par moments mais il est tenu à bonne distance.
- Dekigokoro (Ozu 1933)
- Den Obinata (Jiro) dans Dekigokoro (Ozu 1933)
Cependant, c’est à la prodigieuse maîtrise d’un authentique langage visuel éminemment personnel, élaboré en seulement six ans de carrière et déjà arrivé à son plus haut degré d’accomplissement, que Dekigokoro / Coeur capricieux (ou Caprice passager) doit son formidable impact. Le film est une démonstration exemplaire du paradoxe qui fait la singularité du style Ozu. Un style qui parvient à créer une impression de fluidité, de totale simplicité, d’évidence, tout en affichant des partis prix formels extrêmement affirmés : tranchant des cadrages ; découpage hyper-serré en une multitude de plans courts montés secs, sans crainte du raccord déroutant ; et bien sûr usage abondant des fameux plans d’oreillers (les plans vides, sans personnages, filmant des objets) qui ont bien plus qu’un simple fonction de ponctuation et de respiration.
- Takeshi Sakomoto dans Dekigokoro (Ozu 1933)
L’efficacité imparable et le charme irrésistible du film tiennent aussi à la vivacité d’interprètes qui, pour la plupart, sont des familiers de l’univers du cinéaste. Takeshi Sakamoto incarne avec verve le sympathique fainéant, hâbleur et buveur, qu’il reprendra par la suite dans Ukigusa monogatari / Histoires d’herbes flottantes (1934) ou Tôkyô no yado / Une auberge à Tokyo->9301] (1934). Tomio Aoki (alias Tokkan Kozô), à pas tout à fait dix ans, fait jeu égal avec lui dans son emploi habituel de gamin tête de mule obligé parfois de prendre en charge son inutile de père. Mais on retrouve aussi avec plaisir Chôko Lida (la voisine), Reikô Tani (le barbier) et même, le temps d’une brève apparition, Chishû Ryû. Sans oublier la délicieuse Nobuko Fushimi (Harue) et le charismatique Den Obinata (Jiro) qui forment un couple de jeunes premiers tout à fait convaincants.
Bref : voici un caprice dont on aurait tort de se priver.<br
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