Le 2 octobre 2020
Comédienne et réalisatrice, Cindy Sherman est à la photographie ce que Clint Eastwood est au cinéma. A la fois devant et derrière l’objectif, cette artiste américaine, devenue iconique dans son domaine, joue pour elle-même depuis quarante ans tous les personnages, principalement des femmes, et souvent avec moquerie, mais pas uniquement. Après l’exposition qui lui était consacrée au Jeu de Paume en 2006, la fondation Louis Vuitton lui déroule ses cimaises, pour nous donner à voir jusqu’aux derniers de ses travaux catalogués ici.
- Auteurs : Suzanne Pagé, Marie-Laure Bernadac, Olivier Michelon, Ludovic Delalande
- Editeur : Hazan
- Genre : Art & Culture
L'a lu
Veut le lire
Résumé : Catalogue officiel de l’exposition Cindy Sherman à la Fondation Vuitton du 23 septembre 2020 au 3 janvier 2021. Du milieu des années 1970 à nos jours, Cindy Sherman a produit une œuvre photographique quasi intégralement consacrée au portrait, sans jamais recourir à d’autres modèles qu’elle-même. Paradoxalement, c’est en disparaissant derrière ses masques et ses costumes que Cindy Sherman est devenue une icône, bousculant l’idée même d’identité et les frontières entre réalité et fiction. Publié à l’occasion de la rétrospective de Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton, et préfacé par Suzanne Pagé, cet ouvrage réunit des essais de Marie Darrieussecq, de Gérard Wajcman, de Ludovic Delalande ainsi que des commissaires de l’exposition, Marie-Laure Bernadac et Olivier Michelon. Ici reproduites, les quelque cent soixante-dix œuvres présentées dans l’exposition sont accompagnées de commentaires qui les replacent dans le développement d’une œuvre considérée, à juste titre, comme capitale dans l’histoire de l’art de ces cinquante dernières années.
Critique : La reine du selfie déguisé a été constante dans sa démarche, pendant que la société a révolutionné son rapport, aux femmes, à la photographie et particulièrement au selfie. Cette exposition est socialement importante, car elle est la célébration de la réunion des deux. En occident, la photographie et les femmes ont acquis de concert de meilleurs statuts, ces soixante-dix dernières années. Le selfie systématique est arrivé, lui, il y a vingt ans, avec le moyen de le réaliser par le cliché numérique et de le présenter sur les réseaux sociaux. L’auteure, américaine, le média, le sujet, tout est nouveau dans l’histoire de l’art. Les références existaient depuis que l’humanité a su se représenter, mais très rarement de la part d’une femme qui se déguise pour elle-même et nous, des centaines de fois.
Si Rembrandt s’est parfois représenté costumé, si Judith Leyster s’est peinte à son chevalet, si Francesca Woodman hantait ses clichés, personne n’a mis tant d’énergie, en tant qu’être humain, à se représenter grimée, que Cindy Sherman. On devrait trouver là un moyen de se réjouir et trouver autant de plaisir qu’elle en a sûrement pris à se déguiser. Cependant, il naît un sentiment d’inquiétude à regarder ce travail, comme celui qu’on éprouve à regarder les profils de femmes sur les réseaux sociaux qui se présentent sous toutes les coutures, dans des centaines de selfies avantageusement charmeurs et souriants. Bien sûr, il n’y a rien de créatif sur ces comptes, mais le narcissisme interrogatif de l’artiste, moqueur, inventif, n’est-il pas la marque que nous oscillons entre le sentiment d’être une personne et de n’être personne ? Bref, cette démarche dit quelque chose de notre société, qui peut s’interpréter différemment aujourd’hui qu’elle ne pouvait se comprendre autrefois, quelle que soit l’intention première de l’artiste.
- Courtesy de l’artiste et Metro Pictures, New York © 2020 Cindy Sherman
- Cindy Sherman
Untitled #604, 2019
Tissage de coton, laine, fil, acrylique, coton mercurisé et Lurex
290.8 x 226.7 cm
Quant à la moquerie que nous aimons et qui traverse ces séries, si on peut la penser une composante de la personnalité de l’auteure, ce qui est sûrement le cas, puisqu’elle s’exprime souvent par une imperfection assumée ou des déformations volontaires de ces portraits, on se demande si elle n’est pas plutôt une arcane sociale. Cette charge permanente d’avoir à rire de tout n’atteint-elle pas un but contraire ?
Une tristesse lourde traverse, sur ce thème, certaines séries outrancières, comme celle des clowns, qui sont déjà bien plombés avant qu’on ne les réinterprète, et qui peuvent être aussi inquiétants qu’un rire gras et forcé. C’est peut-être cela de notre société que dit ce travail d’une personne isolée.
- Courtesy de l’artiste et Metro Pictures, New York © 2020 Cindy Sherman
- Cindy Sherman
Untitled #414, 2003
Épreuve couleur chromogène
147.3 x 99.7 cm
Collection Fondation Louis Vuitton,
Paris.
Enfin, il faut bien la virtuosité de "l’essai" de Gérard Wajcman pour effacer la pénible lecture des textes précédents farcis au lacanisme, et confits de parisianisme. Désolant. Hormis ce faux départ, le catalogue est très bien fait, simple, lisible, il permet pour un prix raisonnable de pouvoir conserver chez soi une vue d’ensemble sur ce travail important en nombre et en sens. Les textes qui accompagnent chaque série sont sans snobisme, écrit avec la véritable envie d’être compris, ce qui, dans le monde des curateurs, est une périlleuse antinomie.
Pourquoi la fondation et l’artiste ont-ils choisi cette photographie de couverture et d’affiche ? Probablement parce que la comédienne fait encore mieux, en incarnant sur la même image deux personnages plutôt qu’un seul. N’est-ce pas réduire son travail à la qualité de ses trucages et nous à des observateurs des sept erreurs ? On se dit : non, c’est elle, les deux fois ? Cela ne se peut pas. Si ! Si ! C’est elle, alors c’est bien fait ! Ne risque-t-on pas de passer à côté de quelque chose ? Cela n’est pas certain, car la photo n’a pas vraiment d’intérêt. Ceci dit, ce type de performance est toujours saluée par le grand public. Plutôt que Clint Eastwood à qui on la comparait en introduction, n’est-elle pas plus proche d’Eddie Murphy qui jouait tous les rôles dans Docteur Dolittle, prenait les voix des hamsters, cochons et volatiles ? Quel beau souvenir humoristique !
- Courtesy de l’artiste et Metro Pictures, New York © 2020 Cindy Sherman
- Cindy Sherman
Untitled #465, 2008
Épreuve couleur chromogène
163.8 x 147.3 cm
Collection privée, Paris.
A voir à la fondation Louis Vuitton, à lire de retour à la maison.
Catalogues d’exposition
Prix : 35 €
Date de parution : 30/09/2020
Format : 260 x 310 mm
240 pages
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.