Ceux qui restent - La chronique BD

Les joies des enfants sont souvent les angoisses des parents, l’insouciance d’un Icare correspondant aux peurs légitimes d’un Dédale. Les contes ont cela qu’ils n’évoquent jamais l’incongruité de la disparition d’un ou plusieurs enfants, soit qu’ils soient orphelins, soient que le temps se contracte, une nuit équivalent à une semaine dans un monde imaginaire. La version magistrale de Peter Pan de Loisel avait déjà abordé ce côté sombre du conte, plus réaliste et dense, où l’enfant grandit au milieu d’adultes imparfaits. La série de comics Birthright avait également abordé ce thème de l’absence de manière originale. Ceux qui restent montre des parents désemparés, qui ne comprennent pas la fugue de leur fils, vont rapidement être soupçonnés par la police, apostrophés par les médias. Une histoire qui ressemblerait plus à un fait divers qu’un conte de fée, en somme. Pourtant, le merveilleux est présent, mais il n’est qu’une face qui est ici soigneusement évitée. Le jeune garçon va revenir, les parents vont rencontrer d’autres couples qui souffrent de ce même problème, à savoir la disparition récurrente des enfants, amenés à sauver d’autres planètes, d’autres peuples, parfois sans espoir de retour. Et si finalement, le retour à la réalité n’était pas pire pour eux ?

Sans surprise, cette ambiance pathétique, de drame latent et finalement avéré, est complétée par un dessin fluide, qui laisse la part belle au sentiment et aux émotions. Il est ainsi difficile d’exprimer à quelle époque précise se situe ce récit, tant il peut être iconique de plusieurs siècles. Immeubles, costumes, meubles et expressions renvoient autant au début du XXème siècle version Barrie, ou à un appartement cossu parisien de nos jours. Ce flou est savamment entretenu, et surtout les personnages provoquent tous un rapide attachement, tant ils sont foncièrement humains, dans leurs détresses comme dans leurs doutes. Ceux-là, ceux qui sont restés, qui n’ont pas vécu une vie extraordinaire, ceux qui ont la place que l’on redoute d’avoir en vérité, sont très bien décrits et transcrits, une qualité de plus pour cette œuvre.

Aussi accablant qu’attendrissant, ce conte inversé, ou envers du conte, n’est pas un échappatoire à la réalité, mais plutôt une nouvelle définition de ses barrières. C’est avec originalité et délicatesse que Josep Busquet et Alex Xöul ont réussi à retourner la veste du conte de fée.