Le 4 mars 2020
Premier roman frappant de réalisme poétique, Ces montagnes à jamais dresse le portrait de l’Amérique profonde, celle des fondamentalistes et des fermiers chérissant leurs terres qu’ils ne peuvent administrer à leur manière, celle des héros du quotidien qui se battent pour le progrès. Bouleversant.
- Auteur : Joe Wilkins
- Collection : Americana
- Editeur : Gallmeister
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Laura Derajinski
- Date de sortie : 5 mars 2020
Résumé : Depuis la disparition de son père en plein cœur des Bull Mountains, il y a plusieurs années, et le décès récent de sa mère, Wendell Newman vivote de son salaire d’employé de ranch sur les terres qui appartenaient autrefois à sa famille. Comme un rayon de soleil débarque alors dans sa vie aride le petit Rowdy Burns, fils d’une cousine incarcérée, dont on lui confie la garde. Un lien puissant et libérateur se noue entre Wendell et ce garçon de sept ans mutique et traumatisé. Mais tandis que s’organise la première chasse légale au loup dans le Montana depuis plus de trente ans, les milices séparatistes qui vénèrent le père de Wendell se tournent vers le jeune homme. Bien décidé à ne pas prendre parti, Wendell devra tout faire pour protéger Rowdy et conjurer la violence qui avait consumé la vie de son père.
Notre avis : En plein cœur des Bull Mountains, ces roches rouges qui s’élèvent à pic et qui ne sont pas sans rappeler l’aridité des paysages des westerns, se cachent des hommes et des femmes semblant, pour certains, être restés bloqués dans les siècles passés.
Wendell Newman vit dans cette nature rude depuis qu’il est né, et il ne la quittera jamais. C’est sa maison. Ces forêts et ces falaises, ces bois et ces loups représentent tout ce qu’il connaît et tellement plus. Il est orphelin, presque depuis toujours, même avant la mort de ses parents. Ils ne sont plus que deux à vivre avec du sang Newman dans les veines, lui et sa cousine Lacy avec qui il a partagé un foyer pendant plusieurs années. Alors quand Lacy est emprisonnée, c’est à lui, à Wendell que l’on confie Rowdy, le fils de cette fille farouche et insouciante, devenue reprise de justice. Les deux garçons vont apprendre à s’apprivoiser, à s’adoucir l’un l’autre. Le plus jeune, dix ans de vie difficile, ne parle pas, se retranche derrière des sourires, des cris et un appétit d’ogre. Le plus vieux, un peu plus de vingt ans, travaille dans les champs, auprès des bêtes, semblable à un cowboy des temps modernes.
Gillian, elle, se bat pour que les jeunes de ces montagnes ne soient pas condamnés à reproduire les erreurs de leurs pères, ne finissent pas étouffés par cette terre si peu généreuse, chiquant du tabac, une flasque toujours à la ceinture, croulant sous les dettes, et incapables de gérer leur domaine. Elle est enseignante, mais aussi assistante du principal, ne sait pas vraiment se définir, sait juste qu’elle est prête à tout pour aider ces enfants de fondamentalistes, les empêcher de tomber dans un endoctrinement dangereux. Elle sait aussi qu’elle brasse beaucoup d’air pour rien. Celle qu’elle préservera à jamais de ces radicaux de l’Amérique rurale, c’est sa fille, Maddy, qu’elle élève seule et qu’elle entoure d’un amour inconditionnel.
La terre du Montana est belle, mais si dure. Elle n’épargne rien à ceux qui vivent grâce à elle, elle malmène les hommes qui pourtant la chérissent. Joe Wilkins la décrit comme personne, s’attardant sur les contrastes et sur la sécheresse, sur les étoiles qui percent le ciel noir et illuminent la noirceur comme nulle part ailleurs.
Ces montagnes à jamais, ou le récit des opprimés, des oubliés des politiques démocrates, qui ne comptent que sur leurs terres qu’ils ne peuvent pas administrer comme ils l’entendent, sur leurs fusils et la chasse, sur le White power et la lutte contre le gouvernement fédéral – forcément mauvais. C’est le récit de l’Amérique profonde qui a élu Trump, de ces fermiers qui vivent avec les mêmes préoccupations que leurs ancêtres, sans laisser place au changement, au progrès.
Une poudrière, voilà ce que sont ces montagnes et ces bois, si secs, si prompts à s’enflammer. Les indépendantistes doivent en effet faire face à une résistance timide mais bien là, tenace, qui tente de faire changer cet aspect du Montana, cette ruralité destinée à disparaître. Et pourtant, la morale de ce roman pourrait bien être, comme elle l’est dans Sugar Run de Mesha Maren, que le présent nourrit le passé qui lui-même donne tout son sens au quotidien, aux luttes et aux certitudes actuelles. Rien ne disparaît, tout est avalé par la pensée des hommes et par le sol, si avide – le passé se répétant encore et encore, tel un ouroboros qui se mordrait la queue à l’infini.
Joe Wilkins - Ces montagnes à jamais
Gallmeister
320 pages
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Kirzy 14 février 2021
Ces montagnes à jamais - la critique du livre
C’est un premier roman très accompli que nous offre Joe Wilkins. Entre tragédie grecque et drame shakespearien, cette histoire déchirante de famille, d’amour et de violence se compose autour de deux personnages superbes qui cherchent un sens à leur vie depuis que le malheur les a frappés.
Wendell, un jeune homme qui vivote comme employé de ranch se voit contraint à l’inattendu en accueillant Rowdy le fils de sa cousine toxicomane récemment incarcérée. Se noue alors entre Wendell et ce garçon de 7 ans mutique aux troubles autistiques une relation évidente, comme une possibilité de rédemption pour reconstruire la vie apaisée qui l’a toujours fui. Gillian, elle, est en mission depuis que son mari a été tué : mère d’une étudiante, Maddy, elle est obsédée par son bonheur comme sa réussite sociale ; enseignante, elle entend sauver les enfants des Bull Mountains d’un avenir calqué sur celui de leurs parents repliés sur leur bout de terre.
Le destin est implacable chez Joe Wilkins. Ceux de Wendell, Rowdy, Gillian et Maddy sont reliés. Et le troisième arc narratif est là pour le rappeler sans cesse, faisant planer un linceul au-dessous de leurs vies : le père de Wendell, enfui dans les Bull Mountains après un meurtre, dix ans auparavant, se raconte à la 1ère personne dans des chapitres courts qui s’entremêlent avec ceux consacrés à Wendell et Gillian. On sent son souffle derrière les nuques de Wendell et Gillian.
Le scénario repose sans doute sur un peu trop de coïncidences mais il monte crescendo pour exploser dans un dernier tiers époustouflant, le temps de tisser des personnalités à la psychologie fouillée et à la vie intérieure très riches. le cadre, parfaitement posé, accroît cette sensation d’eau qui monte et arrive à la gorge. La dynamique sociale de cette communauté rurale du Montana est très bien capturée, notamment le conflit ouvert entre les organisations fédérales de protection de l’environnement et les milices séparatistes pro-armes et pro-chasse. On est en 2008, sous la présidence Obama, lorsque la paranoïa anti-fédérale dégénéra dans certains coins de l’Amérique en pics sporadiques de violence.
L’écriture belle, nette et évocatrice de Jo Wilkins parvient à saisir avec subtilité aussi bien la beauté des Bull Mountains que la fragilité des hommes qui se débattent avec leur condition faillible pour tenter de s’extraire à un destin prêt à les engloutir. C’est un très beau roman, quasi existentialiste, sur les tension éternelles entre l’aspiration individuelle à s’envoler vers une liberté choisie et la force des liens du sang qui ramènent sur Terre, inexorablement.
"Fall back down when I Die " nous dit le titre originel. Puissant.