S’aventurer sur les plates-bandes de l’écrivain Céline n’est jamais facile. Que peut-on encore écrire qui n’ait déjà été dit et répété ? Après la biographie définitive de François Gibault [1] et la publication de la quasi totalité de la correspondance, le cas de l’écrivain est presque réglé. Paradoxal, toujours, mais de moins en moins transparent. Emile Brami a pourtant souhaité relever le défi et s’en sort avec les honneurs.

Emile Brami est d’abord un libraire parisien, éditeur, romancier et passionné de Céline. D’un livre l’autre est le nom de sa librairie. Autant dire qu’il maîtrise parfaitement son sujet. De connaître sur le bout des doigts l’œuvre et les exégètes de Céline a le mérite d’éviter le mauvais rabâchage et les redites. Et le paradoxe planant sur tout le livre est énoncé dans l’avant-propos : "Il me faut, moi, juif, vivre avec cette gêne permanente, ce caillou dans la chaussure, d’être passionné par l’écriture, la vision pessimiste du monde, l’humour très noir de celui qui avait voulu, même métaphoriquement, et encore ne suis-je pas absolument certain de la métaphore, ma peau." Un paradoxe qui n’est pas nouveau, les gens de bonne foi reconnaissant sans discuter la place essentielle de Céline au cœur de la littérature du vingtième siècle.

L’originalité de la démarche tient d’abord dans la construction de ce que l’auteur appelle une "promenade". L’ouvrage est construit à rebours. On part de la mort de Céline, en juillet 1961, pour remonter jusqu’en 1894, quand Louis Destouches voit le jour à Courbevoie. Comment le clochard en guenilles de Meudon [2] a pu s’attirer tant de haines ? Comment l’auteur adulé des années 30, auteur du fantastique Voyage au bout de la nuit, a-t-il pu tomber dans l’oubli après-guerre ? Pourquoi un tel déchaînement de haine à l’égard des juifs ?

Emile Brami est dès lors parti d’un constat. Pour évoquer Céline, autant laisser parler les textes. Et c’est un florilège de citations qu’il nous invite à déguster, meilleure façon de parler du génie linguistique de Céline, à travers les romans ou les correspondances. Se (re)plonger dans la prose de Céline est un véritable délice. Bien entendu, Brami pose le problème de la violence antisémite des pamphlets, longs extraits à l’appui. On est loin de l’écrivain adulé en 1932 par toute la gauche. Inclassable Céline. Impossible à étiqueter, comme beaucoup le souhaiteraient. Imprévisible misanthrope.

Saluons donc cet ouvrage richement documenté qui permettra une approche claire et sans complaisance aux non-initiés. Pour les autres, il faut signaler l’effort de l’auteur qui a interrogé de nombreux témoins, dont certains pour la première fois, et a exhumé plusieurs documents inédits. En somme, une "promenade" bien agréable qui, et c’est là la meilleure preuve de réussite, donne une furieuse envie de relire l’œuvre d’un écrivain hors du commun.