Un corps, supplicié, offre sa violence et son énigme. Un corps offert au regard des hommes, stigmatisé, sacrifié, figé dans le secret d’une dernière et fatale rencontre. Une femme, assassinée, sans identité, sans visage. L’histoire, c’est justement ce corps qui va la dire, sous le scalpel du légiste qui détache lentement, amoureusement, des lambeaux de vie. Les défunts crient leur histoire, sur les tables d’autopsie, "demandent justice", dans ce corps à corps entre la vie et la mort, cette intrusion qui se fait étreinte pour atteindre la lumière.

Filipa Melo plonge dans le mystère de ces dépouilles, ces secrets enfouis au plus profond des chairs, et elle ouvre, écarte, découpe, tranche et transperce, avec la précision-même de l’homme de l’art, protégée par la barrière glaciale de la clinique. Mais elle s’attarde aussi sur cette relation irréelle entre le légiste et le cadavre, qui n’a plus rien à voir avec le scalpel, mais cherche à savoir ce qui se cache derrière la mort, terrasse son mystère, la frôle au plus près, l’effleure, avant de reprendre ses distances. C’est ce rapport-là qui est au centre de ce premier roman déroutant et fascinant. Ce rapport aux cadavres qui nous immuniserait contre notre propre mort, cette effraction qui deviendrait acte d’amour. Rien de malsain, pourtant, rien d’ambigu. La beauté des corps inertes se livre au baiser de la lame qui vient, précise, recueillir, comme un trésor, les dernières traces de la vie.