Folle étrangeté
Le 18 mai 2014
En compétition à Un Certain Regard, Jessica Hausner présente son nouveau film, Amour fou, une curiosité légèrement loufoque. Notre avis.


- Réalisateur : Jessica Hausner
- Acteurs : Christian Friedel, Birte Schnoeink, Stephan Grossmann
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand, Autrichien, Luxembourgeois
- Durée : 1h36mn
- Date de sortie : 4 février 2015
- Festival : Festival de Cannes 2014

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En compétition à Un Certain Regard, Jessica Hausner présente son nouveau film, Amour fou, une curiosité à l’humour décalé sur l’un des pontes de la littérature allemande, Heinrich von Kleist, qui échappe à l’académisme des biofilms. Notre avis.
L’argument : Berlin, à l’époque romantique. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l’amour : il tente de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu’Henriette, une jeune épouse qu’Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Une « comédie romantique » librement inspirée du suicide du poète Heinrich von Kleist, 1811.
Notre avis : Inspiré du suicide d’Heinrich von Kleist, grand écrivain allemand du début du 19ème siècle, adapté au cinéma l’an dernier avec Michael Kohlhaas, le nouveau film de l’Autrichienne Jessica Hausner déconcerte, à l’image de ses œuvres précédentes, et notamment de son ténébreux Hôtel qui nous avait fascinés, diffusé également dans la catégorie Un Certain Regard.
Hors de question pour la réalisatrice de s’adonner à l’exercice barbant du biopic sous la forme académique qui domine le genre. La réalisatrice, persuadée de filmer l’ordinaire, aime l’étrange, et le quotidien qu’elle dépeint ne déroge pas à la règle de son art, dans toutes les questions qu’elle soulève.
Amour fou s’intéresse aux petites interrogations sur le sens d’une vie qui consterne plus le poète que la perspective de la mort, puisqu’il considère l’impossibilité d’être heureux de son vivant avec un sérieux imperturbable.
Las de son existence, dans laquelle il ne trouve plus aucun plaisir, le grand Heinrich, réduit à une figure humaine, est obsédé par son suicide. « Ce n’est pas la mort qui m’afflige, c’est la vie » dit-il, en arborant un visage livide, dénué de toute expression. Autour de lui, une proche, Henriette, vient d’apprendre qu’un ulcère, ou une tumeur (la médecine n’offre pas encore un diagnostic sûr et fiable), la ronge de l’intérieur, et provoque de réguliers évanouissements. Bousculée par la nouvelle, elle hésite, puis se décide à rejoindre Heinrich dans son suicide prémédité (selon lui, c’est là une réelle preuve d’amour) ; elle change d’avis, se rétracte. Il semble bien difficile de renoncer à la vie, aussi sombres soient ses perspectives.
Pendant ce temps, Heinrich continue de se lamenter et de se plaindre du non-plaisir de vivre, et de l’ennui que cela engendre. Ne serions-nous pas plus heureux dans la mort ?
Amour fou n’a pas la prétention de répondre aux questions métaphysiques soulevées. L’auteure les pose en faisant évoluer ses personnages dans un cadre bourgeois et kitsch, monotone et fade, mais d’une douce étrangeté. Le rythme est lent, mais la drôlerie entraînée par la mise en scène qui flirte avec l’absurde, nous intrigue par sa noirceur.
Où donc mènent toutes ces frasques loufoques ? A une fin tragique – c’était écrit d’avance – qui, en elle-même, prête curieusement à sourire. Etait-ce le but ? Amour fou, que d’aucuns trouveront austère, est une curiosité déconcertante, qu’il est important de replacer dans une filmographie méconnue, pointue et enrichissante.
Bande-annonce en VO sous-titrée anglais :