Le mauvais temps est beau !
Le 20 septembre 2020
Faire du neuf avec du vieux... mais sans confier le projet à un yes-man, comme le veut le dogme hollywoodien. Résultat : plutôt qu’un énième produit commercial insipide, on obtient un film-hommage vampirisé par son auteur.
- Réalisateur : Denis Villeneuve
- Acteurs : Jared Leto, Harrison Ford, Ryan Gosling, Ana de Armas, Mackenzie Davis
- Genre : Science-fiction, Thriller
- Distributeur : Sony Pictures Releasing France
- Durée : 2h43mn
- Date télé : 3 février 2022 21:15
- Chaîne : TMC
- Date de sortie : 4 octobre 2017
- Voir le dossier : Blade Runner
Résumé : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies...
Critique : Trente-cinq ans. Pour ceux qui l’ont attendu, il a fallu être patient, mais ça y est, la suite de Blade Runner est arrivée. Ridley Scott a laissé les mains (presque) libres à un autre réalisateur, qui accumule les succès depuis quelques années. Ce réalisateur si bankable, c’est Denis Villeneuve, que tout Hollywood s’arrache et que l’on reverra bientôt aux commandes de projets tout aussi aguichants : (Dune, Cléopâtre...). D’ici là, il était donc intéressant de voir ce qu’il apporterait à l’un des piliers majeurs de la science-fiction.
Mais Blade Runner a fait plus que poser les bases métaphysiques dans la thématique de la lutte des hommes contre les robots, et qui ont infusé le genre au cours des décennies suivantes – ce qui est déjà énorme, convenons-en –, il a également su ressusciter les codes du film noir et s’imposer comme la matrice de l’esthétique du cyberpunk. Autant d’aspects révolutionnaires que nous n’avions aucune chance de voir se renouveler en 2017, mais que Denis Villeneuve avait la lourde tâche de faire vivre dans sa propre mise en scène.
- Copyright CTMG / Sony Pictures / Warner Bros. Pictures
Beaucoup des questions laissées en suspens ne datent en réalité que du director’s cut sorti en 1992. Toutefois, il faut admettre que le fait de savoir si le personnage de Harrison Ford était ou non un humain restait pour beaucoup une attente, mais aussi une crainte. Que Denis Villeneuve nous en offre la réponse avec aussi peu de finesse qu’il a introduit les twists de ses précédents films était même une appréhension viscérale. Dès la scène d’introduction, où est lourdement asséné que les blades runners sont des replicants, cette peur s’est aussitôt transformée en un amer sentiment de rejet. Il faut donc un petit effort, et se convaincre que, pour Villeneuve, la nature de Deckard n’est absolument pas un enjeu majeur, pour se lancer dans son thriller contemplatif qui, comme à son habitude, mise tout sur ses jeux d’ambiance, et entièrement centré sur son nouveau personnage, K, interprété par Ryan Gosling.
L’adjectif "contemplatif" n’a ici rien de péjoratif, puisque c’est déjà ainsi qu’était qualifié le film de 1982, que transcendait la photographie de Jordan Cronenweth. Cependant, entre les mains de Denis Villeneuve, et aussi éclatante que soient les images assurées par Roger Deakins, le caractère pictural du long-métrage devient pesant sur sa propre construction. Sa mise en scène, qui prend soin d’étirer chaque plan d’ensemble, jusqu’à ralentir certains d’entre eux, se ressent sur le rythme global et s’assimile plus d’une fois à de l’esbroufe esthétisante. Le travail fait sur les images, et en particulier les excellentes incrustations d’hologrammes, est tout simplement irréprochable, et pourtant on regrette de ne rien y retrouver de l’ambiance sordide ni, moins encore, l’imagerie organique, qui rendait l’œuvre de Ridley Scott si dissemblable des productions classiques. Le visuel léché et édulcoré proposé ici semble même, par moments, n’être qu’un recopiage sans âme des images originales. Le cahier des charges est d’ailleurs plus flagrant encore sur la bande originale, où Hans Zimmer n’arrive à aucun moment à égaler les splendides envolées opératiques de Vangelis et a fourni, par défaut, une ambiance sonore aussi poussive qu’artificielle.
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Fort heureusement, le scénario de Michael Green (Alien Covenant, Logan, Green Lantern...) possède quelques pistes, dont trois particulièrement prometteuses, qu’il est bon de suivre, malgré les longueurs neurasthéniques inhérentes à cet étalage d’images clinquantes. La première d’entre elles est celle apportée par la place qu’ont prise les hologrammes dans cet univers futuriste, depuis qu’on l’a quitté. Le rapport des hommes (la contrepartie auprès de la population féminine est étrangement absente), avec ces images virtuelles pour combler leur manque affectif, fait écho aux actuelles dérives du tout numérique, comme l’avait si bien fait Spike Jonze dans Her.
La seconde piste est le doute sur la véracité des souvenirs, qui implique une remise en question sur la nature humaine. Cette question était déjà présente, avec bien plus de subtilité, dans le long métrage original, permettant de créer quelques liens bienvenus.
La troisième et principale piste est, et ça n’a rien d’étonnant au vu de la filmographie de Denis Villeneuve, les relations parents-enfants, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Comme il l’a fait dans Premier Contact, le cinéaste prend soin de mettre au cœur de son intrigue la sacro-sainte mission de procréation. Cette fois, il va jusqu’à en faire la condition sine qua non à la future domination des robots sur les humains.
Autant de thématiques, dont l’exploitation s’avère être moins le fruit de l’intrigue que des moyens de mener celle-ci vers sa conclusion. Une conclusion qui, soit dit en passant, n’a de surprenant que dans la mauvaise introduction des éléments qui la compose.
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L’utilisation d’une femme holographique qui "dit ce que l’on veut entendre" est d’ailleurs une magnifique ficelle permettant d’illustrer les errements introspectifs d’un Ryan Gosling, plus impénétrable que jamais. Tout le film repose sur ce choix assumé, puisque toutes les révélations qui parsèment son enquête policière nous sont méticuleusement expliquées, ne laissant aucune place à ces incertitudes qui avaient participé au mythe de Blade Runner, premier du nom. A l’inverse, trop peu d’efforts sont apportés à l’écriture des personnages secondaires. La rencontre entre les protagonistes interprétés par Sylvia Hoeks et Robin Wright, et tout ce qu’elle impliquait dans les sous-entendus autour de l’inhumanité de ces deux femmes, est certainement la scène, dont les dialogues auraient pu être les plus cultes du long-métrage. Mais non, Villeneuve préfère retourner filmer Gosling dans de grandes étendues brumeuses derrière des filtres monochromes plutôt que donner un minimum de profondeur à ses personnages secondaires.
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La présence de Harrison Ford (ne parlons pas de celle d’Edward James Olmos dans un caméo qui n’est que du fan service !) permet, dans la dernière demi-heure, de remettre temporairement le scénario sur les rails des questions laissées en suspens trente-cinq ans plus tôt. Impossible de revenir, sans le spolier, sur le manque de subtilité avec lequel nous est servi le dialogue pompeux de ce qui aurait dû être le climax, à savoir la rencontre entre Harrison et Jared Leto. Intéressons-nous alors sur ce dernier. Peu de choses à dire en fin de compte, puisque le temps de présence à l’écran du chanteur de Thirty Seconds to Mars se situe quelque part entre ceux qui lui furent accordées dans Suicide Squad et Fight Club... ce qui ne l’empêche pas d’attirer le public, paraît-il.
Blade Runner 2049 est donc, sur le fond, un film d’auteur, qui satisfera immanquablement les fans de Denis Villeneuve, de sa morale puritaine, et de sa façon de prendre son temps, pour faire lentement la tension sans forcément l’amener vers des scènes qui la méritaient. Il est aussi, sur la forme, un grand exercice de style qui plaira aux amateurs de photographies hypnotisantes. Il ne faut surtout pas oublier qu’il s’agit avant tout d’une commande de studio, qui espère en faire le point de départ d’une saga juteuse. Si l’on considère le plan de fin, nul doute que, si suite il y a, elle ressemblera davantage à ce que Disney a fait de Star Wars qu’à l’excellente adaptation de Philip K. Dick, réalisée en son temps par Ridley Scott. Une effrayante idée de notre avenir.
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tomparis75 9 octobre 2017
Blade Runner 2049 - la critique "mitigée"
Après toutes ces avis dithyrambiques sur allociné, je désespérerais de trouver une critique qui conforte un tant soit peu l’impression décevante que j’ai eu en sortant de la salle... et l’agacement appuyé qu’a provoqué sur mon système nerveux la bande son grandiloquente et prétentieuse (mais surtout assourdissante) du film ! C’est peut-être un signe des temps, nous nous enfonçons dans le lourd où l’esthétique cliquant remplace la beauté et la subtilité...
MYTHOMANIAC 16 mai 2019
Blade Runner 2049 - la critique "mitigée"
Le film que l’on attend depuis bien longtemps, le film dont on entend parler depuis bien longtemps, des rumeurs disent peut être dans deux ans, mais un jour peut être, ce jour est arrivé alléluia !
Le cris religieux n’est pas loin tant le mythe blade runner a donné naissance à une partie du cinéma, tant cette suite hérite de son père, tant le sujet du film est biblique.
Enfin, il est arrivé, Dennis Villeneuve aux commandes et Ridley Scott au contrôle et Hampton Fancher co-scénariste du premier volet.
Il va être difficile de donner un avis rapide.
Le film engendre un double sentiment au sujet du fond comme de la forme, des imperfections gênent et réduisent l’ampleur du retour du mythe.
Le film commence et ne laisse planer aucun doute sur la condition des blade runner. On entre directement par un œil (comme dans le film de 1982) puis le gigantisme organique, cette terre et ces villes surpeuplées rappelant l’épiderme de la peau.
Le film est sublime, les plans sont travaillés et l’ambiance est pesante.
L’univers est tellement travaillé que l’aspect poisseux et gluant du premier film est remplacé par de une sorte de saleté propre. L’univers pesant n’est jamais réellement hostile ou oppressant, le spectateur est tenue à distance de cet univers, observateur froid derrière une vitre (symbolique de ce que l’on va découvrir ? Vivre le rêve d’un autre !)
Une autre gène vient de la vision contemplative qui marque le film de nombreux ralentissement, quand ce ne sont pas les envolés de certains dialogues ou des effets qui appuient lourdement sur des points de l’intrigue (les flashbacks réguliers pour spectateurs en sommeil).
La musique vient nous rappeler à l’ordre violemment sans tendresse contrairement à celle de Vangelis autrefois.
Le scénario fait écho au premier film mais il n’est pas un simple copier coller, il y a du respect, une continuité et des ponts avec l’univers construit par le film de 1982.
Le malaise vient par le traitement des thèmes abordés tantôt sans finesse de façon très scolaire tantôt avec intelligence.
Les comédiens ont leur part dans cette ambiance Ryan Gosling campe un personnage qui se fait voler la vedette par plusieurs personnages tout au long du film ce qui n’aide pas à créer de l’empathie pour lui (pauvre Pinocchio).
Harrison Ford fait simplement du Harrison Ford gommant les traits du personnage qu’il était.
Les personnages secondaires ont aussi le syndrome "tantôt", peu de profondeur ou déployant de la force pour accompagner l’un des thèmes.
Est-ce là une ouverture pour des suites ou un univers étendu, avec 3 courts métrages donnant des informations sur des événements ayant lieu entre les deux films... Rien n’est moins sûr.
Il ne faut pas se tromper, il faut absolument voir ce film, qui offre une suite de très grande qualité loin des infâmes suites de films cultes des dix dernières années, SOS Fantômes 3 par exemple, après les grands fans de la première heure n’y trouveront pas exactement leur compte.