Le 20 septembre 2020
Sorti de son épais brouillard de mystère, Blade Runner 2049 nous arrive précédé de tweets dithyrambiques et de louanges inouïes. Son ombre n’est pas encore là que l’on se pose la seule, l’unique question : est-il à la hauteur de son précurseur auréolé, relève-t-il le défi d’accéder aux cieux ? La réponse est un grand oui.
- Réalisateur : Denis Villeneuve
- Acteurs : Jared Leto, Harrison Ford, Robin Wright (Robin Wright Penn), Hiam Abbass, Ryan Gosling, Dave Bautista, Edward James Olmos, Sylvia Hoeks, Ana de Armas, Mackenzie Davis
- Genre : Science-fiction, Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Sony Pictures Releasing France
- Durée : 2h43mn
- Date télé : 5 septembre 2024 21:00
- Chaîne : Paris Première
- Date de sortie : 4 octobre 2017
- Voir le dossier : Blade Runner
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Résumé : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies...
Critique : Considéré par beaucoup comme le nouveau grand auteur de science-fiction, notamment depuis son Premier contact qui déjouait toutes les attentes pour bâtir un univers intimo-linguistique en pleine rencontre alien, Villeneuve avait tout le poids de son aîné sur les épaules. Avec la bénédiction de Ridley Scott, le réalisateur canadien avait une mission impossible à relever. Sans trahir la pensée de Philip K. Dick, il fallait à la fois faire un film pour les fans tout en étant accessible aux profanes. Car l’édifice Blade Runner est un univers unique, parfaitement pensé dans tous ses aspects visuels, philosophiques, sociaux et source d’un imaginaire débridé qui a nourri nombre de fantasmes cinéphiles… pendant trente-cinq ans ! De quoi développer plus de théories que de raison et surtout nourrir les craintes d’une “suite” qui détruirait encore une fois l’aura de son prédécesseur. Bref, tout était réuni pour rendre impossible la mission confiée à un cinéaste, même aussi talentueux que Villeneuve. Une gageure dont il sort indemne et même grandi, notamment grâce au scénario dense coécrit par Hampton Fancher, l’un des grands artisans, coscénariste et porteur du projet du premier Blade Runner. Ridley Scott raconte d’ailleurs en interview combien il a l’impression en revoyant son film que son véritable auteur est Fancher. C’est dire l’importance de son apport sur ce nouvel essai. Car des nombreuses réécritures des scénarios d’alors est née une forme de frustration chez un Fancher, dépossédé de son bébé, et évidemment de certaines idées maîtresses de son script. Mais son conflit avec Scott à l’époque ne pouvait être que remporté par le cinéaste. Et de ce combat artistique est né cet objet sans concession à la monomanie de Scott qui voulait que l’on respecte sa vision pure et avant-gardiste. Aujourd’hui, Villeneuve doit jouer les funambules pour respecter un lourd cahier des charges et satisfaire toutes les parties tout en y coulant son univers intime, propice à se fondre dans un marbre déjà fabriqué.
Il fallait donc un moteur fort, un concept rigoureux pour replonger dans l’univers sans se répéter en faisant du bête fan service. La quête de K rejoint alors les questionnements métaphysiques entamés dans le film de 1982 pour mieux toucher à un propos universel. Tout comme le Deckard de l’époque, K va amener le spectateur vers une problématique qui le dépasse et surtout qui dépasse son simple statut d’individu. On découvre un nouveau monde, redéfini par un blackout aux allures de bug de l’an 2000, en même temps que Ryan Gosling. Un peu à la manière de Neo qui découvre la matrice, on part à la conquête de l’envers du décor en même temps que lui. L’implication du spectateur est d’autant plus immédiate et puissante. Et pour assurer la continuité esthétique du diptyque, le récit prend tout le temps de poser ses quelques personnages (guère nombreux), de filmer ses décors à couper le souffle, de cerner tout un monde qui a pris trente ans et a mué en même temps que la manière de fabriquer un film. 2049 dialogue ainsi constamment avec son grand frère, tout en explorant des terres vierges. Voguant au gré de ses influences littéraires (Dick évidemment mais également la Bible), de ses habits freudiens et ses relents cyberpunk, le film fonce tête baissée vers une nouvelle quête souterraine accouchée d’une première “banale” enquête, du Blade Runner pur et dur en somme. Dans ce prolongement maîtrisé avec une maestria visuelle hors du commun par Villeneuve et son chef opérateur Roger Deakins (à la photo de 1984, Barton Fink, The Village, Prisoners… parmi tant d’autres), le récit respecte l’essence d’un univers préformé mais remet aussi en avant certaines thématiques du roman de Dick comme l’importance des animaux (ce mouton en origami, hommage au point de départ du roman) ou de “l’off world”... D’autres éléments nouveaux viennent parfaire le tableau comme la relation amoureuse que noue K avec sa femme de synthèse, d’un romantisme qui n’est pas sans rappeler Her de Spike Jonze. Cette romance est l’une des sous-intrigues bouleversantes et permet de poursuivre l’étude de la définition de l’humanité et de l’âme au sein de corps de synthèse.
- Copyright CTMG / Sony Pictures / Warner Bros. Pictures
De l’art du détail et de l’objet en particulier, le duo Villeneuve/Fancher se fait maître. A la licorne fantasme des songes de Deckard, répond ici le cheval de bois qui apparaît en rêve avant de se matérialiser. L’obsession du passé et du souvenir, éléments fondamentaux de l’œuvre de Villeneuve et seules véritables preuves d’humanité des Réplicants se cristallisent ici dans un objet enfantin simple mais qui porte en lui tant de sens qu’il en devient une clé du récit. La quête première de K est encore une fois baignée de mystères et sa résolution se fait dans un labyrinthe en quasi huis clos à ciel ouvert. L’atmosphère élégiaque est donc toujours de mise. Mais si le cœur du Blade Runner bat bien dans ce 2049, il ne faut pas s’y méprendre, Villeneuve a su respecter une autre fondation du culte : la modernité. En utilisant à bon escient le numérique, en construisant en dur au maximum les décors, le cinéaste se fait bon élève et va aussi loin que possible pour créer un décorum époustouflant avec des atmosphères visuelles qui resteront longtemps gravées sur les rétines. Pas de fonds bleus évidents ici, les effets spéciaux sont au service du récit et non l’inverse, tendance pénible des blockbusters contemporains. Et l’ambiance sonore est également une réussite totale en rendant encore une fois justice au travail de Vangelis sans l’imiter. Un art dont Villeneuve semble être maître aujourd’hui. Il a beau filmer des Réplicants dont on ignore s’ils sont une simple copie ou des êtres humains à part entière, concernant sa dernière réalisation, aucun doute sur le fait qu’elle ait une âme. Blade Runner 2049 n’est pas une suite, c’est un miracle.
Lire aussi l’avis mitigé ici :
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