Le crépuscule des légendes
Le 15 septembre 2014
Fruit du mariage entre la mythologie américaine et le talent ibérique, Blackthorn donne une (fausse) suite au classique de George Roy Hill et préfère l’aventure humaine aux coups de feu.
- Réalisateur : Mateo Gil
- Acteurs : Eduardo Noriega, Stephen Rea, Sam Shepard, Padraic Delaney, Magaly Solier
- Genre : Western
- Nationalité : Américain, Espagnol, Français, Bolivien
- Durée : 1h38mn
- Date de sortie : 31 août 2011
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Fruit du mariage entre la mythologie américaine et le talent ibérique, Blackthorn donne une (fausse) suite au classique de George Roy Hill et préfère l’aventure humaine aux coups de feu.
L’argument : Passé pour mort depuis 1908, Butch Cassidy, le légendaire hors-la-loi, se cache en réalité en Bolivie depuis vingt ans sous le nom de James Blackthorn. Au crépuscule de sa vie, il n’aspire plus qu’à rentrer chez lui pour rencontrer ce fils qu’il n’a jamais connu. Lorsque sur sa route il croise un jeune ingénieur qui vient de braquer la mine dans laquelle il travaillait, Butch Cassidy démarre alors sa dernière chevauchée...
Notre avis : Le western aura été à l’honneur en cette année 2011, sous de multiples facettes : classique, rigolard et semi-crépusculaire (le formidable True Grit, retour en grande forme des Coen) ; minimaliste, réaliste et esthétisant (La dernière piste de Kelly Reichardt) ; ou encore passé à la moulinette du blockbuster déconneur et de la série B bâtarde (avec les aliens de Cow-boys et envahisseurs). Même le cinéma d’animation s’y est mis avec Rango, le lézard désopilant et léonien de Gore Verbinski, qui s’est même payé le luxe de clouer Pixar au poteau sur son propre terrain. En attendant Django Uunchained, la resucée "spaghetti" de Tarantino, cette moisson est la preuve d’un regain d’intérêt pour un genre plutôt rare sur les écrans, qu’on annonce régulièrement moribond. Avec ses (anti-)héros immémoriaux, constamment sur la sellette, un œil fixé sur leur colt et un autre sur leur passé glorieux, le western est aussi un commentaire de notre époque, plongeant dans les racines de nos sociétés, dialoguant avec des figures légendaires et aujourd’hui disparues, symboles de droiture et de "vrai cran" (traduction de true grit). Des figures légendaires comme celles de Butch Cassidy, dont s’est emparée avec gourmandise Mateo Gil, ami et proche collaborateur Alejandro Amenabar (il a signé les scénarios de Tesis, Ouvre les yeux, Mar adentro), emblème parmi d’autres d’un cinéma espagnol en plein boom, qui n’a plus rien à prouver de son audace ni de son ambition.
Œuvre baignant dans la mythologie américaine mais à l’identité irréductiblement espagnole, Blackthorn prend quelques licences avec la grande Histoire en imaginant un Butch Cassidy vieillissant, réchappé de la tuerie de San Vincente et coulant des jours paisibles dans une ferme bolivienne. La subversion s’arrêtera là, puisque, loin de la distanciation ironique de certains avatars post-modernes, le film de Mateo Gil témoigne d’un grand respect envers le genre qui lui sert de cadre, d’une soif de cinéma revigorant qui n’est pas sans rappeler celle d’un Kevin Costner (Danse avec les loups, Open Range). Démarrant comme une chronique mélancolique, Blackthorn dérive ensuite vers le pur film de chevauchée, dans la tradition du genre, traversée de grands espaces (déjà aperçus en début d’année dans Même la pluie, le brûlot politique d’Iciar Bollain). L’un deux, un splendide lac de sel asséché, est le théâtre d’une course contre la mort lancinante et asphyxiée, où se révèleront les caractères de chaque personnage. Ce dernier morceau de bravoure, curieusement en sourdine, illustre bien le tempo paradoxal du film : constamment par à-coups, ménageant plus d’une pause (appuyées par la douce et belle partition de Lucio Godoy), refusant le trop-plein d’action et lui préférant l’histoire humaine, l’étude de caractères.
En faisant endosser le rôle de l’ancien mercenaire à Sam Shepard, comédien incontournable qui trimballe avec lui tout un fragment de l’Ouest américain (des Moissons du Ciel à L’assassinat de Jesse James..., en passant bien évidemment par Paris, Texas), Mateo Gil confirme sa volonté de s’emparer à bras le corps de grandes figures mythologiques, tout en les croisant et en les associant à son propre cinéma ibérique. C’est ainsi le ténébreux Eduardo Noriega, acteur fétiche de cette génération montante de cinéastes (Ouvre les yeux, L’Échine du diable...), qui fait face à Shepard en jeune bandit aux dents longues. Tous deux, contraints de faire équipe dans l’adversité, semblent reformer le tandem d’antan (Butch Cassidy et le Kid), improvisent au vieux loup une sortie de scène... et apprennent progressivement à s’apprivoiser. Le faux buddy-movie tourne au choc des générations : si Shepard figure un "ancien temps" droit dans ses bottes, attaché à des valeurs de loyauté, son compagnon se révèle plus cupide, assoiffé d’argent et d’individualisme, davantage inscrit dans l’ère industrielle naissante. Cette confrontation de deux époques est un lieu commun du western, déjà largement exploité par Peckinpah ou par Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest, Mon nom est personne), mais que Mateo Gil négocie plutôt bien grâce à un scénario acrobatique qui ménage les rebondissements et les twists. Le voyage initiatique, commencé sous les auspices positives de l’amitié (chaque protagoniste a à apprendre de l’autre), se termine ainsi sur une note inattendue, plus amère, frayant avec la critique sociale (l’exploitation des Indiens).
La mise en scène de Mateo Gil, classique mais souvent somptueuse, magnifie les décors tout autant que les rapports humains. Parfois d’une réelle ampleur, elle confirme le film dans sa qualité de spectacle à l’ancienne, modeste et fait avec soin, guidé par la passion. La déférence du réalisateur envers ses classiques ne va pas, il faut bien le dire, sans une certaine frilosité, qui l’empêche régulièrement de décoller vers les cimes élégiaques qu’il semble convoiter. Les (nombreuses) scènes de flash-back, retraçant la jeunesse de Cassidy et son amitié avec le Sundance Kid, accusent ainsi leur allégeance au film culte de George Roy Hill, mais sont aussi les plus faibles du métrage. Davantage concluant dans son versant "présent", soutenu par une paire d’acteurs aux univers différents mais en parfaite alchimie, Blackthorn teinte sa noirceur crépusculaire de couleurs plus ouatées, son pessimisme de doux désenchantement, sa dureté rêche d’un peu de baume et de coton. La voix rocailleuse de Shepard, chantonnant une ballade dans le générique de fin, résonne alors comme un délicat requiem, celui d’une époque révolue et d’une amitié manquée.
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