Le 4 décembre 2021
Une peinture sarcastique de la société roumaine et d’un certain retour à l’ordre moral. La narration audacieuse et le montage singulier contribuent à l’originalité du film.
- Réalisateur : Radu Jude
- Acteurs : Alexandru Potocean, Katia Pascariu, Claudia Ieremia, Olimpia Mălai, Nicodim Ungureanu
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Luxembourgeois, Roumain, Tchèque, Croate
- Distributeur : Météore Films
- Durée : 1h46mn
- Titre original : Babardeală cu buclucsau porno balamuc
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans avec avertissement
- Date de sortie : 15 décembre 2021
- Plus d'informations : Le site du distributeur
- Festival : Festival de Berlin 2021
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Emi, une enseignante, voit sa carrière et sa réputation menacées après la diffusion sur Internet d’une sextape tournée avec son mari. Forcée de rencontrer les parents d’élèves qui exigent son renvoi, Emi refuse de céder à leur pression, et questionne alors la place de l’obscénité dans nos sociétés.
Critique : L’Ours d’or décerné à Bad Luck Banging or Loony Porn au Festival de Berlin 2021 devrait accroître la notoriété de son réalisateur, Radu Jude. Ce dernier est en effet moins connu que d’illustres compatriotes, comme Cristi Puiu (Sieranevada), Cristian Mungiu (Baccalauréat), voire Corneliu Porumboiu (Les siffleurs). Ce qui est bien dommage au vu de la singularité de son œuvre. Le projet du présent film a vu le jour à la suite de discussions entre le cinéaste et des amis, relatives à des faits divers ayant révélé le licenciement d’enseignants pour des motifs relevant de leur vie privée. Le métrage opte pour une narration audacieuse, structurée en trois parties distinctes, avec un montage et un ton général qui pourront déconcerter, mais confirment l’originalité de son auteur. Après un prologue montrant la vidéo à l’origine du scandale, le récit est axé sur les déambulations d’Emi dans les rues de sa ville, et sa rencontre avec plusieurs personnages avec lesquels elle est plus ou moins liée. Le cinéma-vérité semble ici la référence de Radu Jude qui n’hésite pas à filmer des devantures publicitaires criardes ou des blocs de béton représentant l’horreur architecturale. On retrouve dans ce segment la dénonciation de la société de consommation qu’il avait explicitement abordée dans La fille la plus heureuse du monde (Ours d’argent à la Berlinale 2009).
- © 2021 Météore Films. Tous droits réservés.
La seconde partie présente un certain nombre d’images d’archives historiques, dont la superposition fait indiscutablement écho aux derniers longs métrages de Godard, dont Le livre d’image. La voix off explicative et sentencieuse évoque plusieurs atrocités commises naguère par les autorités roumaines, du massacre d’Odessa pendant la guerre (déjà traité par le réalisateur dans Peu importe si l’histoire nous considère comme des barbares), aux exactions sous l’ère Ceaușescu, dont certains semblent avoir la nostalgie. L’antisémitisme et d’autres discriminations polluent encore la société roumaine, assène le cinéaste, renvoyant dos à dos totalitarisme, populisme, et déboires du néo-libéralisme. Le propos est parfois abscons et excessif mais force est de reconnaître que cette seconde partie est la plus audacieuse et créative. Le troisième segment, enfin, est une petite tragédie comique qui voit Emi se défendre face aux accusations de parents d’élèves. Une sorte de tribunal organisé dans la cour de l’établissement montre la causticité du réalisateur, avec des passages relevant de la farce et du comique de l’absurde. Certes, les éructations des personnages pourront lasser, et l’humour est parfois pesant.
- © 2021 Météore Films. Tous droits réservés.
Mais ces saynètes n’en demeurent pas moins réjouissantes, avec la dénonciation du retour à l’ordre moral et de l’hypocrisie inhérente à certains milieux bien-pensants. L’actrice Katia Pascariu est en outre étonnante dans un rôle difficile, qui aurait pu mener aux pires excès. L’acharnement dont elle est victime fait songer à celui imposé à Angela Winkler dans L’honneur perdu de Katharina Blum ou Mariko Tsutsui dans L’infirmière. « Qu’est-ce qui est obscène, et comment le définir ? Nous sommes habitués à des actes qui sont parfois bien plus indécents que celui qui déclenche le scandale dans le film », déclare le réalisateur. Il parvient à traiter sa problématique avec intelligence et virtuosité, même s’il lui arrive de se poser en donneur de leçons, une posture qu’il tente pourtant de combattre dans son propos initial. Il est à noter que le film a été tourné au début de la crise sanitaire, et que le réalisateur a tenu à un strict respect du port du masque, de la part de son équipe technique et de ses interprètes. Cela donne au film un aspect à la fois réaliste et étrange qui n’est pas pour rien dans son pouvoir de fascination.
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.