La fille la plus heureuse du monde - la critique

Critique : Imaginez que vous êtes un agent publicitaire, chargé d’assurer la promotion d’un jus à la couleur légèrement trop jaune et au nom légèrement trop acidulé. Vous décidez de lancer une opération de communication comme seuls les comités de marketing en ont le secret : un jeu-concours, qui par le hasard propulse au volant d’une Logan toute neuve une fille de campagnards, adolescente en sandales de paysanne et chemisier étriqué du dimanche, sommée d’exhiber devant la caméra son plus large sourire. Une image à la fois moderne et simple de la société de consommation à l’occidentale, modèle télévisuel d’une opération séduction à l’adresse de celui qui pousse son caddie au supermarché. Seulement, faire vendre des sodas, ce n’est pas une préoccupation majeure quand on sort à peine de l’enfance - le début du film montre l’héroïne en combat discret avec son corps de femme -, pas plus que d’assurer à ses parents une petite prime complémentaire en acceptant de revendre le lot obtenu. La narration se concentre sur ce voyage impromptu d’une journée qui transporte ces provinciaux sous le feu des lumières de la ville, et renvoie dos à dos deux logiques, la publicité et la famille, chacune absurde et bornée, autour d’un personnage principal délibérément un peu mou, en décalage complet avec la surface lisse de starlette que le réalisateur du spot et l’agence de communication s’efforcent de lui donner en quelques prises.
Ce resserrement de l’action permet de dessiner avec justesse l’irritation générale qui gagne progressivement tous les protagonistes au fur et à mesure que ce tournage anodin vire au fiasco. Radu Jude installe un humour qui, tout en relevant d’une satire assez traditionnelle contre les travers de la société de consommation, met mal à l’aise par la répétition et l’impression de cauchemar qui s’en dégage, comme lorsque l’on voit Délia forcée de recommencer à chaque fois une prise ratée et d’absorber jusqu’à la nausée des litres de jus d’orange. Néanmoins, malgré des suggestions intéressantes, le film a tendance à s’enfermer lui aussi dans son propre cercle, et peine à trouver son rythme. Les pistes - les contradictions de l’adolescence, la « mauvaise foi » familiale... - sont davantage esquissées qu’explorées, laissant au bilan une certaine frustration ; la narration, se soumettant à la contrainte de l’unité d’action, de temps et de lieu, souffre de cet étouffement et ne parvient pas à s’ouvrir véritablement, de sorte que le film prend une tournure linéaire, faisant alterner et varier de manière minime les mêmes scènes de dialogue puis de solitude, jusqu’à épuisement total de ses potentialités. On peut y voir là, comme semble l’indiquer la moue omniprésente sur la figure encore enfantine de Délia, une image du piétinement de l’individu livré à lui-même, jouissant apparemment d’une liberté illimitée, mais conduit par ce que lui imposent des voix contradictoires, et au final dans l’incapacité de faire ses propres choix.

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