Altération par l’image
Le 19 mai 2018
Au pretexte de parler du monde arabe, qui n’est que "la main" dont on découvre d’abord les "cinq doigts" (allez comprendre !), Godard signe un exercice de style qui nous explose en pleine poire, et s’impose comme le porte-étendard d’un discours moribond et désenchanté.
- Réalisateur : Jean-Luc Godard
- Genre : Expérimental
- Nationalité : Français
- Durée : 1h22mn
- Date télé : 14 septembre 2022 00:00
- Chaîne : Arte
- Festival : Festival de Cannes 2018
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Résumé : Rien que le silence. Rien qu’un chant révolutionnaire. Une histoire en cinq chapitres, comme les cinq doigts de la main.
Critique : A Cannes, Jean-Luc Godard est inévitablement partout, via cette affiche omniprésente, hommage à Pierrot le fou. Mais tout le monde parle de lui, et de l’audace qu’il a pu avoir d’imposer à ce Festival à la mécanique si bien huilée une séance exceptionnelle en lui promettant une introduction en visio-conférence. Ce caprice de diva, de la part de celui qui, il y a cinquante ans, réussit à faire annuler une édition du Festival, est sur toutes les lèvres des festivaliers. Mais, bizarrement, de son film, personne ne parle. Chacun reste sous l’effet de cette expérience de cinéma comme il en a peu vécu dans sa vie et qu’il n’était pas prêt à vivre ici. Il est vrai que le cinéma expérimental se vit et ne se raconte pas. Et d’avoir vu le fruit du nihilisme stylistique de cet octogénaire, coupé du monde de nombreuses années, est quelque chose qui s’imprime sur notre rétine mais sans que l’on puisse ensuite sérieusement trouver de mots pour le théoriser.
Mérite-t-il seulement que l’on parle ? Non pas qu’il doive être oublié, loin de là, mais au contraire qu’il doive être digéré de façon toute personnelle. Le caractère purement introspectif de cet embrouillamini audiovisuel ne peut de toute façon qu’être amalgamé à l’esprit de chacun. Individuellement. Parce qu’il fait fi de toutes les règles de son art et s’érige en prophète du nihilisme, Godard s’assure de laisser de nombreux spectateurs sur le carreau. Qu’importe ! Ceux qui auront voulu y trouver un spectacle plaisant ont fait fausse route. C’est au contraire dans un malaise psychologique, digne d’un véritable cauchemar, que nous entraîne cet auteur excentrique. Un malaise qui n’est toutefois que l’altération dans la forme la plus pure de notre inconscient collectif, fait de films, d’images d’informations et d’autres images historiques ou culturelles sur lesquelles repose notre civilisation occidentale. Notre société du spectacle à laquelle on tient tant. Tant de sources malaxées d’où naît finalement une certaine cohérence. La violence des unes n’étant que l’extension de celles des autres… à moins que ce ne soit l’inverse.
- Le livre d’image © 2018 Écran Noir Productions. Tous droits réservés.
Sur ce grand tout dadaïste, où passé et présent, réalité et fiction s’entremêlent pour ne faire qu’un, Godard s’évertue à poser des mots. Ses mots. Sans que ceux-ci ne donnent forcément sens à son montage épileptique, ils forment tout de même un discours d’une rare violence. Et la clef de cet exercice de style est là, dans la confrontation entre son discours, dans lequel les horreurs de la guerre se retrouvent sacralisées et leur représentation à l’écran. Ne pas nous permettre de tout comprendre à son propos –le montage et le mixage psychédéliques y sont pour beaucoup–, quand bien même c’est la chose à laquelle on puisse se rattacher, c’est nous renvoyer à l’incompréhension du monde qui nous entoure. A notre impuissance face à cet imbroglio. A notre complexe d’infériorité dont on n’aime pas parler. C’est pour ça que notre ressenti face à ce film atypique reste tabou. Le jury du Festival de Cannes, qui lui a tout de même offert une standing ovation, aura-t-il le courage d’en reparler au moment de décider du palmarès ? Il est certain que Jean-Luc Godard s’en fout. Comme du reste.
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